Samedi dernier, le site internet des Inrocks a publié un papier qui faisait suite à l’entretien de l’un de ses journalistes avec Jean-Marie Le Pen. On imagine facilement la tête déconfite de la présidente du FN en découvrant l’article. Non seulement le Vieux est toujours là et bien là, mais il tient à le faire savoir. « Ma candidature défrise certains au FN » plastronne le président d’honneur frontiste. Les Inrocks en font logiquement leur titre. L’entourage proche de Marine Le Pen est clairement visé. Comme pour démontrer à sa fille qu’il constitue encore le gardien du temple frontiste, Jean-Marie Le Pen a effectué cette sortie médiatique dans un médium clairement engagé contre la fameuse dédiabolisation du FN. Un message envoyé à celle qui lui a succédé il y a deux ans et demi déjà, laquelle a pourtant fait entretemps le meilleur score historique du parti à la présidentielle.
Marine Le Pen avait pourtant déjà reçu le message. Elle continue de ménager son père, ce qui lui vaut de commettre des erreurs contredisant sa stratégie politique globale, laquelle lui a pourtant permis d’enregistrer des succès électoraux et médiatiques depuis qu’elle est à la tête du FN. La première erreur que nous pourrions citer relève sans doute de l’anecdote mais elle n’en est pas moins significative. Au début de l’été, alors que Nelson Mandela agonise sur son lit d’hôpital, elle est reçue sur France Inter par Patrick Cohen. Alors qu’elle rend hommage à l’ancien président sudafricain, le journaliste lui rappelle que le FN n’avait pas cette attitude par rapport à Mandela du temps de Jean-Marie Le Pen. Il n’y a pas là forcément un piège mais elle y tombe quand même. Au lieu de répondre quelque chose comme « les temps changent », qui aurait été cohérent avec la stratégie décrite plus haut, elle nie farouchement, tentant de faire croire que son père avait la même attitude qu’elle. Comment ne pouvait-elle pas imaginer que, dès le soir, passerait en boucle, le démenti cinglant de cette affirmation ? Les images d’archives –notamment de l’Heure de Vérité- furent sans pitié. Double erreur : être prise en flagrant délit de mensonge et occasion manquée de marquer sa différence.
La seconde erreur est contenue dans le titre des Inrocks. Comment Marine Le Pen a-t-elle pu consentir à laisser son père mener la liste aux européennes pour la circonscription Sud-Est ? Certes, cela lui permet de rabattre le caquet de son ex-challenger Gollnisch qui se verra ainsi repoussé à la troisième place, parité oblige[1. En 2009, le Lyonnais Gollnisch, pourtant électeur dans la circonscription sud-est, avait mené la liste dans le Nord-Est. Mais cette fois-ci, c’est la chasse gardée de Florian Philippot, déjà candidat l’an dernier en Lorraine pour les législatives, et bien décidé à en faire sa terre d’élection.]. Certes, également, l’électorat sudiste du FN est celui qui est le plus en symbiose avec Jean-Marie Le Pen, lequel y fera sans doute un très bon score. Mais en lui laissant cette mission, Marine Le Pen envoie un signe à toute la France, notamment à son électorat du Nord, et surtout à ses réserves de voix de second tour, talon d’Achille éternel de son parti. Nous avions expliqué que la stratégie mise en œuvre avec Philippot avait abouti à des progrès notamment dans l’Oise et dans le Lot-et-Garonne. La stratégie de dédiabolisation permet de faire du FN un choix de second tour, après avoir voté pour un autre parti au premier, qu’il affronte le PS ou l’UMP. Mais il lui faut encore atteindre un palier afin de transformer ces succès d’estime en victoires électorales. Le scrutin majoritaire à deux tours étant ce qu’il est, il lui est indispensable de casser ce plafond de verre. En permettant à son père de mener une liste dans ces élections européennes, elle envoie des signes négatifs et contradictoires et elle s’interdit de franchir ledit palier. Pour le dire plus vite : le plafond de verre, c’est Papa.
En politique, pour atteindre ses ambitions légitimes, il faut très souvent « tuer le Père ». Cela permet d’affirmer sa volonté aux yeux de tous et de se ménager des mains libres. Le gros problème, c’est que ce Père symbolique se confond avec son père véritable. Il est humain que Marine Le Pen ne s’y soit pas encore résolu. Pourtant, le chemin du pouvoir passe par là. Attendre que la Nature s’en charge ne constitue pas une solution raisonnable. Le monsieur possède un profil de centenaire. La présidente du Front National se retrouverait dans la situation ridicule du personnage joué par Michel Galabru dans « Le Viager ». Et les Français n’enverront jamais Léon Galipeau à l’Elysée.
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