(Avec AFP). Président d’honneur suspendu du Front national, Jean-Marie Le Pen a franchi hier soir un pas de plus dans le conflit avec sa fille Marine en annonçant sur Radio Courtoisie qu’il allait créer sa propre formation, qui ne sera toutefois « pas concurrente du FN ». Ce nouveau mouvement, a-t-il expliqué, sera « un parachute contre le désastre, de façon à peser pour rétablir la ligne politique qui est celle qui a été suivie depuis des décennies ». Dès que ses relations avec Marine Le Pen avaient tourné vinaigre, après la publication de son entretien corrosif dans Rivarol, tout laisser présager que le vieux chef voudrait créer sa crèmerie canal historique, à la façon d’une Geneviève de Fontenay horrifiée par le spectacle de bikinis et de chair qu’est devenue l’élection des Miss. Depuis la bisbille entre la dame au chapeau et la société de production Endemol, le Comité « Miss France national », volontiers kitsch, franchouillard et artisanal, concurrence la cérémonie officielle, sans rivaliser avec la débauche de moyens de la maison-mère.
Jean-Marie Le Pen s’est risqué à un autre parallèle pour justifier sa démarche : « Je ne veux pas que le FN devienne comme le mouvement de (ndlr: Gianfranco) Fini (en Italie), une aile droite de la majorité, de façon que M. Philippot et quelques autres deviennent ministres… » a-t-il lâché avant de se lancer dans une longue diatribe contre le vice-président du Front national, désespérément gaulliste, souverainiste, voire « socialiste » aux yeux du Menhir. Et Le Pen senior sait de quoi il parle : ancien dirigeant des jeunesses néo-fascistes du MSI, Fini l’avait accompagné dans son fameux voyage à Bagdad qui l’avait conduit jusqu’au palais de Saddam Hussein en 1990, aux côtés d’une délégation de responsables d’extrême droite européens. Quelque temps plus tard, le néo-fasciste se muait en atlantico-libéral bon teint, allant jusqu’à récuser le régime de Mussolini puis à contester Berlusconi sur sa gauche, caressant même le projet d’une grande alliance centriste avec le social-démocrate Cassini. Reste que les néo-fascistes pur sucre baignent dans un jus stérile, éclatés en une myriade de groupuscules, qui vont d’expériences sociales imaginatives (Casa Pound) en fiascos électoraux (Forza nuova).
À la droite de la droite, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était : à bientôt 87 ans, Jean-Marie Le Pen sait qu’il ne pourra agréger qu’un quarteron de fidèles allergiques au nouveau Front, tels que le vétéran Roger Holeindre, le dissident Carl Lang, et quelques autres. Pour l’heure, rien n’indique que Bruno Gollnisch ne se hasarde à quitter le paquebot mariniste. Confortablement assis sur son siège de député européen, le fils préféré n’a toujours pas digéré sa défaite aux primaires de 2011. Pourquoi renoncerait-il à une réélection assurée pour sauver un géronte ingrat qui n’eut même pas le bon goût de préférer son héritier politique à sa fille ? Au Front, même ceux qui n’en pensent pas moins (et approuvent une partie du napalm que le Vieux a déversé dans les colonnes de Rivarol) optent pour l’efficacité. En savonnant la planche de sa fille, Jean-Marie Le Pen a aussi scié sa popularité auprès d’une base frontiste qui se projette aux portes du pouvoir. Qu’importe, le vieil artiste rêve d’un dernier tour de piste avant de mourir sur scène tel Molière jouant Le Malade imaginaire.
Côté jardin, le 1er mai, le fond de l’air était rouge sur l’estrade du Front national. Tout de pourpre vêtu, Jean-Marie Le Pen mima le V de la victoire devant une Marine médusée, posant en César esquivant le geste parricide de Brutus. Mais sa « félonne » de fille n’a pas revêtu les oripeaux de Bruno Mégret, puisqu’elle garde le contrôle de l’appareil et que la quasi-totalité des cadres et des élus toutes tendances confondues, devraient renouveler leur allégeance. Un temps, le fondateur du Mouvement national Républicain (MNR) s’était rêvé calife à la place du calife, avant de perdre toutes les batailles. D’abord, sur le front du charisme, le bateleur Le Pen ne cédait pas une once de personnalité au terne polytechnicien Mégret. Juridiquement, la guerre fut néanmoins plus disputée : si la marque FN était passée aux mains du « félon », l’histoire eût peut-être été tout autre. En 2001-2002, quelques mois avant le 21 avril, des mercenaires du RPR avaient tenté un rapprochement discret avec la jeune garde du MNR afin d’éliminer Le Pen de la chasse aux parrainages et de favoriser l’inoffensif Mégret.
Par un de ces retournements dont l’histoire a le secret, quinze ans après la scission mégrétiste, s’il venait à maintenir sa candidature à la présidence de la région PACA, Le Pen finirait nolens volens en allié objectif de l’UMP. Pardon, des « Républicains », voire du front du même nom. Ultime ironie, à force de poignarder sa fille, le président d’honneur déchu passe pour le dernier homme politique à ne pas faire le jeu du FN…
*Photo : Francois Mori/AP/SIPA. AP21728706_000013.
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