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Bigard a les boules

Rencontre avec un humoriste blessé


Bigard a les boules
Jean-Marie Bigard le 6 mai 2014 à Paris. AFP PHOTO /JOEL SAGET

Accusé de banaliser le viol à la suite d’une blague salée, Jean-Marie Bigard a dû renoncer à une tournée d’été. Crucifié par son ex-amie Muriel Robin, l’humoriste préféré des Français paie cher son image d’idole des beaufs.


C’est l’histoire d’un mec qui raconte la même blague scabreuse depuis trente ans. Le 11 février dernier, sur le plateau de « Touche pas à mon poste », Jean-Marie Bigard déboule et débite cette galéjade : une femme se plaint à son médecin de souffrir d’une déchirure, ledit médecin la retourne, la sodomise et lui rétorque : « Ça, c’est une déchirure ! » Mi-hilare, mi-gêné, Cyril Hanouna se dérobe : « On ne cautionne pas du tout ! » En trois jours, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) reçoit 1 500 signalements de bonnes âmes indignées.

Muriel Robin: « Bigard doit être puni ! »

Comme de bien entendu, c’est sur les réseaux sociaux que partent les coups en dessous de la ceinture. Son amie de trente ans Muriel Robin enfonce le clou sur Facebook : « Bigard doit être puni ! » pour sa prétendue banalisation du viol. Engagée contre les féminicides, interprète passionnée de Jacqueline Sauvage sur le petit écran, Robin accuse ensuite sa camarade comédienne militante Éva Darlan d’avoir usurpé son identité virtuelle pour appeler à châtier Bigard. Sur le fond, la comique de garde n’en démord pas : « Une femme qui se fait “déchirer”, pour moi, c’est tout sauf drôle. Comme je l’ai écrit à Jean-Marie, je lui souhaite sincèrement que ça n’arrive pas un jour à sa fille. » Le sermon se conclut par une réfutation urbi et orbi, Muriel Robin niant toute amitié passée, présente et future avec ce criminel de la pensée. Cette empoignade par médias interposés en serait restée au stade du crêpage de chignon si la cause des femmes n’était devenue chose sacrée. Même le dieu profit s’incline devant le totem néoféministe puisque le patron de Var-Matin annule la grande tournée d’été prévue avec Jean-Marie Bigard. Les deux hommes sont actuellement en procès pour rupture d’entente.

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Comment comprendre le scandale déclenché par « une blague qui fait rire la France entière » depuis des lustres ? Il y a encore quinze ans, Bigard interprétait son célèbre « Lâcher de salopes » à des heures de grande écoute sans que personne ou presque ne s’en offusque. En 2010, le CSA avait failli censurer sa diffusion et contraint Patrick Sébastien à la faire précéder d’un avertissement parental aux moins de 12 ans. Comme si cette métaphore filée comparant la drague à la chasse sans le moindre mot de travers pouvait choquer un esprit innocent. Au fil des ans, les groupes de pression féministes ont imposé leur grand récit selon lequel l’histoire de l’humanité opposerait une majorité opprimée à ses bourreaux masculins. Cantat assassin, Bigard complice ? Du pur délire !

De la jalousie?

Le premier concerné avance trois hypothèses pour expliquer son lynchage. Un : la jalousie. Deux : la prolophobie. Trois : l’ère victimaire. Examinons-les. Péché irrémissible, « j’ai fait 4 millions de spectateurs vivants. Un record inégalé. Personne d’autre n’a rempli le stade de France », me chapitre Bigard avec sa gouaille habituelle. Sa « femme [actrice] belle comme un ange », qu’il expose comme une œuvre d’art, leurs jumeaux, tout serait prétexte à agacer les envieux.

Quid du deuxième grief adressé à Bigard, sa beauferie assumée ? « Blanche Gardin dit à peu près la même chose que moi, mais c’est la chouchoute des élites et de Canal +. Moi, on m’accuse de friser le populisme et de faire rire les gens avec “bite-poil-couilles”. » C’est oublier tout un pan du répertoire bigardien qui, tel le sketch « La Chauve-Souris », s’amuse des absurdités de l’existence sans la moindre allusion salace. Sur le plateau d’Hanouna, la chroniqueuse Géraldine Maillet a fort justement dénoncé le sort peu enviable réservé aux vieux mâles blancs. On ne leur laisse rien passer. L’affaire de la déchirure rappelle ainsi le cas Patrick Sébastien, auquel il fut jadis reproché d’avoir chanté Casser du noir, grimé en Jean-Marie Le Pen. C’était en 1995, dans l’émission « Osons » dont le décor représentait une braguette géante. Trop gaulois pour être honnête, Sébastien fut prestement débarqué de TF1 à la grande joie de ses détracteurs, dont un certain Dieudonné. La même confusion entre le personnage et son interprète prévaut désormais pour « Le Lâcher de salopes », que Bigard a coécrit avec Laurent Baffie, « un sketch évidemment dirigé contre les hommes puisqu’il montre la pitoyabilité du chasseur quand on remplace le gibier par le beau sexe ».

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Bigard fait mouche lorsqu’il pointe la fragmentation de la société en une myriade de communautés promptes à chouiner dès qu’on les titille. « Le monde est devenu une réunion de copropriété, le stade suprême de la connerie », soupire-t-il. Comme l’a théorisé Stéphane Guillon, qui s’attaque courageusement à l’Église catholique, chacun ne peut plus rire que de sa communauté s’il veut éviter les ennuis. Dans son roman Les Philosophes (Les Belles lettres, 2019), Michel Desgranges imagine un « espace de délation républicaine » chargé de « recueillir les plaintes d’internautes traumatisés par des sites où s’expriment des opinions qu’ils désapprouvent » et de récompenser la délation au nom du Bien. On y décerne « le laurier démocratique pour le signalement d’une incivilité de nature raciste ou sexiste, la grande fougère recyclable pour la dénonciation d’homophobie, le poireau vertueux pour avoir débusqué des blasphèmes écolophobes ». Le CSA n’en est plus très loin…

Kafkaïsation

Certes, on pourrait reprocher quelques maladresses au prévenu Bigard. Sa stratégie de défense prend acte de la kafkaïsation du monde : puisque l’enceinte du tribunal s’est étendue à l’ensemble de la société, l’accusé B. se croit obligé de prouver sa vertu. Il se justifie par ses états de services humanitaires et féministes : une maternité construite au Burkina Faso sur ses fonds propres, là où des milliers de femmes accouchaient sur de la terre battue, une autre maternité sauvée à Guingamp par un message envoyé à Brigitte Macron. « C’est dire si le sort des femmes m’intéresse. » Qui en doutait ? Malhabile, sa sortie sur les « connasses qui veulent avoir des couilles comme Muriel Robin » ne l’empêche pas de tendre l’autre joue envers celle qu’il considère toujours comme son amie.

Malgré le soutien de « 99 % des collègues », Jean-Marie Bigard est un homme blessé. Sa nouvelle pièce, Dernier tour de piste, tombe à pic. Aux côtés de Patrice Laffont et de cinq autres comédiens, il y incarne un vieil acteur cynique en maison de retraite. À 65 ans, Bigard joue le clown triste à la vie comme à la scène. Cet ogre rabelaisien clame son innocence à coups d’éructations et de hurlements primaires. Qu’il se rassure, on ne voit pas à l’horizon deux vieilles actrices de second ordre s’apprêtant à l’emmener hors de la ville pour l’exécuter. Quoiqu’on ne sait jamais.

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Octobre 2019 - Causeur #72

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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