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Ve République : l’heure de la retraite


Ve République : l’heure de la retraite

Jean-Luc Mélenchon république

Je ne sais pas si, comme tu le dis, j’ai une culture de la manif, en raison de mon appartenance à la gauche. Je sais parfaitement, pourquoi, en revanche, je suis allé manifester ce dimanche 5 mai, sous un ciel ensoleillé. Nous étions 180 000 d’après l’Huma et 237 d’après la préfecture de police mais tout de même, il y avait  du monde.
Interroge-toi d’abord sur le fait qu’une partie de la gauche ait jugé la situation assez grave pour manifester contre un gouvernement socialiste qui n’a d’ailleurs de socialiste que le nom. C’est une première, une manif politique de ce genre. Tu le trouve socialiste, toi, le gouvernement ? Autant dire que tu trouves l’UMP gaulliste. Si c’était le cas, tu n’aurais pas rejoint Dupont-Aignan et DLR… Eh bien moi, j’ai d’abord manifesté contre un gouvernement qui trafique son AOC.
Il est amusant et instructif, à ce titre, de lire la presse de droite. Dans ses pages politiques, la France de Hollande, c’est la Corée du Nord. Il faut bien faire plaisir à son lectorat. En revanche, dès qu’il s’agit d’argent, de placements, de possibles déductions fiscales, bref dès que tu lis les pages économiques ou financières de cette même presse, c’est la fête. On cache sa joie bien entendu mais on n’aurait jamais imaginé, même dans ses rêves les plus humides, un gouvernement libéral faire passer sa loi sur la flexisécurité, accorder des crédits d’impôts aux entreprises sans contrepartie, favoriser les déductions fiscales pour l’ISF dès que quelques sous sont investis du côté des PME dites innovantes. Je ne te parle pas de BFM business, ils sont carrément au bord de l’orgasme quand ils parlent de ces mesures qui font le bonheur de la Finance, Finance qui n’en a rien à battre, par ailleurs, du mariage pour tous qui cristallise ces temps-ci la naissance des Tea Parties à la française.
Tu veux sauver la Cinquième, donc ? Moi aussi, longtemps, j’ai pensé que ces institutions convenaient parfaitement à la France et même si le PCF s’est toujours méfié de l’élection du président au suffrage universel, par peur du césarisme ombrageux de De Gaulle, il y avait dans mon camp l’idée implicite que prendre le pouvoir avec ces moyens-là était  le chemin le plus court pour faire passer des réformes essentielles, voire changer de société.
Ce que je constate, aujourd’hui, alors que la Troïka nous donne deux ans pour achever de démanteler les restes de l’Etat providence en matière de santé et de retraites, c’est que la Ve république n’est plus qu’un bouclier en plastique.
Tu parles de fétichisme de la VIe en ce qui me concerne. Le fétichisme est une amusante perversion en ce qui concerne les rapports amoureux, mais pas en politique. Et je te retourne le compliment. C’est toi qui me sembles fétichiser la Ve. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. La jolie jeune fille de 58 est une star oubliée pour programme de  téléréalité, botoxée, liftée, liposucée à force de réformes successives et de respect de la lettre plutôt que de l’esprit. Elle a fait ses premières opérations de chirurgie esthétique lors des cohabitations de 86, 93 et 97, et ne parlons pas de cette aberration du quinquennat, suivi de l’inversion du calendrier qui l’a transformée en une manière de régime proprement irresponsable. Le président est élu pour cinq ans et pour cinq ans, il fait ce qu’il veut. À moins d’un putsch ou d’un Lee Harvey Oswald, il en ira pour Hollande comme pour Sarkozy : il fera son mandat, tout son mandat, sur le mode de l’hypoprésidence
Tu me diras, comme les présidents ne peuvent plus faire grand chose sous le talon de fer bruxellois, ils ressemblent de plus en plus à ceux de la IVe. Ils n’inaugurent plus les chrysanthèmes, ils font voter des lois sécuritaires tous les quinze jours quand ils s’appellent Sarkozy et ils donnent des droits particuliers à des communautés quand ils s’appellent Hollande. Mais pour le reste, la provincialisation marchande du vieux pays devient chaque jour une réalité plus concrète.
Alors oui, j’ai manifesté dimanche 5 mai, avec quelques autres, pour changer de régime, pour remettre les chose à plat avec une assemblée constituante qui refusera qu’une politique économique libérale, forcément libérale (ah cette règle d’or budgétaire) soit inscrite dans le marbre de plus en plus mou de nos lois fondamentales.
Après, on peut toujours personnaliser le débat. Mélenchon, je le trouve un peu trop messianique, pour tout te dire, et n’importe quel participant à cette manif te dirait que le nombre de drapeaux du PCF était inversement proportionnel à l’importance médiatique du tribun du peuple : la voix, c’est lui mais la masse, c’est nous. J’ai même entendu les radios, dans le bus du retour vers Lille, répéter des chiffres de participation donnés par le  Parti de Gauche comme si c’était l’unique organisateur de l’événement. Ce n’est pourtant que le parti de Mélenchon et qui n’est lui-même qu’une composante du Front de Gauche. Je pourrais même te dire, sans trahir un secret, que cette omniprésence agace un peu du côté du PCF, et que mon cher André Chassaigne n’a pas jugé bon de participer au cortège, par exemple.
Mais cette manif du 5 a, au-delà de sa protestation contre l’austérité, marqué encore une fois, mais de manière éclatante cette fois-ci, qu’il y avait deux gauches. Une de la soumission et une du refus. Celle du refus a compris, comme l’avait compris De Gaulle en 58, que pour prendre le pouvoir, on a intérêt à changer d’habits constitutionnels, qu’on ne court pas un cent mètres en tenue de soirée trouée avec des chaussures vernies qui serrent aux pieds, que ce n’est pas avec la Cinquième que l’on pourra constitutionnaliser les droits sociaux et le périmètre de ce qui nous appartient à tous, collectivement, en tant que citoyens : la santé, l’éducation, l’énergie, l’eau…
En 58, De Gaulle avait violé son propre camp politique pour imposer sa vision de la France à venir.
Nous n’avons pas d’autre ambition : une révolution par les urnes.
Tu sais quoi ? Je crois que nous sommes gaullistes.

*Photo : RemiJDN



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