Dans l’œil de Sieff


Dans l’œil de Sieff

birkin sieff vichy

De la sous-préfecture de l’Allier, vous connaissiez tout au plus les pastilles, le Casino et Valery Larbaud. Vichy a désormais son « Rendez-vous photographique » en plein cœur de l’été. La deuxième édition qui a pour thème l’art du portrait se tiendra du 13 juin au 31 août 2014 et réunira de nombreux artistes. Après avoir attiré près de 25 000 visiteurs en 2013, cette manifestation capte de nouveau le regard des touristes de passage en Auvergne. Les municipalités et syndicats d’initiative se creusent la tête durant l’hiver, bien aidés par de coûteuses agences en communication, pour inventer une autre forme de tourisme. Et quand on ne possède pas de parcs d’attractions à grand spectacle ou de calanques classées à proximité de sa bourgade, on patauge, on galère même. Les loisirs culturels sont les nouveaux moteurs de l’expansion économique comme on disait dans les années 70. Un peu partout dans nos provinces, l’amateurisme et la ringardise frisent l’arnaque estivale.

À défaut d’être originaux, ces rendez-vous photographiques évitent les grosses ficelles des festivités au forceps. À Vichy, on prend la photo au sérieux sans prendre des poses d’intellos en goguette. En choisissant de rendre hommage cette année à Jean-Loup Sieff (1933-2000), les organisateurs ont été très inspirés. Ils ont visé juste. Près de 60 photos en noir et blanc de l’artiste seront ainsi exposées à l’Esplanade du lac d’Allier. Sieff avait la pudeur des très grands, ceux qui ne truquent pas, qui n’enrobent pas leur travail d’un sabir artistico-désespéré. Ce n’était ni un gourou de la photo, ni un justicier de la pellicule.Quand on lui demandait ce qui avait motivé sa vocation, il répondait : « c’est le plaisir…seul le plaisir a guidé mes envies ». Le garçon qui démarra la photo après avoir reçu en cadeau un Photax de plastique noir à l’âge de 14-15 ans avouait même : « J’ai la photographie paresseuse. Mes photographies ne sont ni militantes, ni objectives, je ne témoigne de rien, n’ai aucun message à délivrer ni point de vue à faire valoir ». Un saint ! Dans un monde où chaque pseudo-artiste vomit son génie, de préférence devant les micros et les caméras aux heures de grandes écoutes, Sieff pratiquait une photographie sensuelle, sublimant la beauté des corps tout en ouvrant des trappes vers le passé. Une jeunesse solitaire prédispose à cette délicatesse-là, à ce grain intimiste, à cette nostalgie à fleur de peau.

Les visages chez Sieff expriment toujours la candeur et la force propres à l’enfance. Dans les grands news magazines (Elle, Jardin des Modes, Harper’s Bazaar, Paris Match, Vogue, etc…) où il a officié pendant presque cinquante ans, il a eu toutes les stars devant son objectif : Gérard Blain singeant James Dean, Truffaut esseulé sur un banc public, Sagan à la plage, Brialy en gavroche, Montand cabot, Nico sur la défensive, Hitchcock taquin,Noureev à l’œil carnassier, Gary impassible dans son masque de cire, Nourissier perdu dans sa fumée, Deneuve éblouissante de féminité mais aussi les mannequins les plus désirables de la planète, Twiggy bien sûr et la fantastique Jean Shrimpton. Sieff nous touche par ses décors, ses landes désertes, sa Normandie affective, son goût pour les belles automobiles anglaises et aussi pour ses nus.

L’exercice du nu est dévastateur pour plus d’un photographe. Plus intimidant que le grand oral de l’ENA, il fait perdre à beaucoup leurs moyens. Sieff avait le don de dévêtir ses modèles. Une puissance érotique s’en dégageait comme dans son Nu pompier (1956) ou Héloïse allongée (1972). Il transformait la charge sexuelle de toutes ces filles en une infinie douceur. La marque des esthètes, des alchimistes.

 *Photo : COSMAO XYZ/SIPA. 00370791_000010.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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