«Morituri»: le clap clap de fin?


«Morituri»: le clap clap de fin?

jean louis murat morituri

Ainsi donc, pour la première fois depuis plus de vingt ans, Jean-Louis Murat ne partira pas en tournée défendre son nouvel album. L’objet, Morituri, devra se contenter du minimum syndical promotionnel (papiers moribonds et interviews-tueries). Au passage, notons que les autres médias traduisent morituri pour leurs lecteurs, nous ne commettrons pas cette offense envers ceux de Causeur, êtres cultivés qui connaissent leur latin, c’est de notoriété publique, horresco referens.

Les raisons de cette absence de tournée invoquées par le chanteur sont au nombre de deux, sans rapport l’une avec l’autre, curieusement : les musiciens qui ont participé au disque ne seraient pas disponibles (sic) et les salles préféreraient « programmer des gros cons comme Renaud ou Polnareff »… Sale temps pour Murat en tout cas : son meilleur ennemi Renaud, « toujours debout », fait carton plein et bat des records de vente jusqu’ici détenus par son deuxième meilleur ennemi (Johnny). Mais la raison profonde vient sans doute de plus loin : ceux qui font le succès des albums estiment que Murat a usé son public, à force de roublardise, de distanciation altière, de minimalisme bougon, de sautes d’humeur rédhibitoires. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse, comme les fans. Nombreux sont ceux qui ne veulent plus se faire avoir, être les dindons de la farce auvergnate.

C’était à prévoir : depuis une petite dizaine d’années, les concerts du sexagénaire se muent inexorablement en messes tridentines avec la bénédiction de fidèles de plus en plus masos et de moins en moins nombreux. Tant vont les cruches à vau-l’eau… L’illustre homme de radio Jean-Bernard Hebey (« Salut les copains » sur Europe 1, « Poste restante » sur RTL, etc.), premier et dernier producteur de Murat, a bien résumé la situation dans la biographie consacrée au chanteur parue l’an dernier et dont votre serviteur est l’heureux auteur : « Il est dans un métier qui s’appelle le show-business, c’est-à-dire que quand on rentre sur une scène, il y a des lumières sur lui et la salle est dans le noir, et non pas le contraire ! Il n’a pas compris le métier qu’il faisait. »

Son meilleur disque dixit lui-même

Pourtant, Murat continue à sortir, imperturbable, des disques largement supérieurs à la norme française, hermétiques à l’air du temps, dignes d’intérêt. Morituri ne déroge pas à la règle, une fois encore. Il en a bien conscience quand il déclare que c’est son meilleur disque. Ça lui fait au moins un point commun avec Renaud puisque ce dernier a dit la même chose de son nouvel album : le meilleur selon lui depuis Mistral gagnant (la bonne blague marketing). Penchons-nous donc sur ce Morituri, « Ceux qui vont mourir » en français (pour les non latinistes venus s’échouer ici incidemment). Et, une fois n’est pas coutume, commençons par la fin, avec le titre de clôture « Le cafard » et ses paroles vade-mecum : « J’ai eu le cafard, c’est quoi le cafard, difficile à dire / C’est comme un buvard qui te boit la joie, te prépare au pire / C’est un animal qui fait un carnage chez les colibris / En Haute-Savoie, face caméra, Coupez. » Un frisson de cafard terré dans la tuerie du Grand-Bornand parcourt les oreilles de l’auditeur à l’écoute de ce titre glaçant.

Ensuite, dans cette galerie de chants mélancoliques en haute altitude résonne le morceau éponyme « Morituri », un duo coquin avec Morgane Imbeaud, la nouvelle Mylène Farmer de Jean-Louis. Précision utile pour ceux qui voudraient opérer des rapprochements hasardeux à la lecture de certaines paroles : toutes les chansons ont été écrites avant les événements dramatiques du 13 novembre. « La pharmacienne d’Yvetot » en pleurs dans sa cuisine pour toutes les raisons du monde, « Interroge la jument » et sa prescience des attentats, « La chanson du cavalier » et ses réminiscences d’amours médiévales chantées dans l’album Tristan, « Frankie » – sortie du même moule antédiluvien -, sont autant de clefs délicates de la nuit Morituri, imprégnée d’une musique délicieusement jazzy et anxiogène (l’album a été enregistré quelques jours après les attaques terroristes parisiennes).

Dommage, vraiment, cette absence de tournée… Morituri est supérieur à tous les Mistral gagnant actuels, que demande le peuple mort ? Allez Jean-Louis, pour une fois, fais comme les autres : annonce une tournée d’adieux, les salles vont t’accueillir les bras ouverts !

Acta est fabula.

Morituri, de Jean-Louis Murat, Pias.

Jean-Louis Murat: Coups de tête

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est l'auteur de nombreux ouvrages biographiques, dont Jean-Louis Murat : Coups de tête (Ed. Carpentier, 2015). Ancien collaborateur de Rolling Stone, il a contribué à la rédaction du Nouveau Dictionnaire du Rock (Robert Laffont, 2014) et vient de publier Jean-Louis Murat : coups de tête (Carpentier, 2015).

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