Daoud Boughezala. Lourdios-Ichère, votre petit village de la vallée d’Aspe compte aujourd’hui 160 habitants, contre 650 en 1860 et 340 il y a un siècle. Qu’est-ce qui explique un tel dépeuplement ?
Jean Lassalle[1. Député des Pyrénées-Atlantiques, maire de Lourdios-Ichère depuis 1977 et candidat à l’élection présidentielle.]. Au fil du temps, la guerre de 1870 avec la Prusse et la tragédie de 1914 ont emporté beaucoup de monde. La Révolution industrielle a bouleversé mon village de la vallée d’Aspe dans lequel l’agriculture, le pastoralisme, l’exploitation de la forêt constituaient des éléments essentiels de la vie économique. Dans les années 1920, une immense épidémie de tuberculose a tué une part importante de la jeunesse, notamment des jeunes femmes, alors que la guerre avait déjà ravagé vingt-cinq jeunes hommes ! Dans l’entre-deux-guerres, la population s’est maintenue. C’est après 1945 qu’on a assisté à une vague massive d’exode rural. Ceux qui restent ont maintenu leur activité de paysan, travaillaient comme ouvriers, pour beaucoup dans la fabrique voisine de transformation du bois des forêts. Dans cette région frontalière, nous échangions beaucoup avec nos frères espagnols Aragonais qui partageaient notre communauté de destin. Par la montagne, ils achetaient nos produits, nous vendaient les leurs bien que la route ne soit arrivée à Lourdios-Ichère qu’en 1959, en même temps que l’électricité.
Aujourd’hui, on a peine à imaginer des villages aussi enclavés. Comment s’effectuaient les échanges avec l’Espagne et la région?
On circulait sur un chemin de muletiers, on allait à cheval à Oloron, la ville de dix mille habitants à vingt kilomètres de là. Seuls quelques courageux avaient des motos… Quand la route est arrivée au village, encore fallait-il la relier à la vallée. Or, la jonction entre la route et la Vallée d’Aspe ne s’est faite qu’en… 1977, l’année où je suis devenu maire ! Nous étions jusqu’ici le cul-de-sac de la vallée. Pour se rendre à Pau, on devait prendre le train toute la matinée, sachant que la gare inaugurée en 1928 se trouvait à quinze kilomètres de Lourdios.
C’est de cette situation archaïque que vous avez hérité en 1977 lorsque vous êtes devenu le plus jeune maire de France à Lourdios-Ichère…
C’était une autre époque, un autre siècle. Je devais garer ma voiture à deux kilomètres et demi de chez moi. Il n’y avait ni de téléphone, ni eau potable, ni évidemment d’assainissement des eaux usées. Les femmes approvisionnaient les familles en eau à deux kilomètres du village. Il fallait aussi marcher deux ou trois kilomètres pour faire les courses dans les deux épiceries de Lourdios. Jeune maire, à 21 ans, j’ai dû réaliser des routes et des adductions d’eau potable. Cela a toujours été un combat pour que l’Etat finance ces équipements.
Au niveau de l’Etat, je relancerai la recherche fondamentale, notamment pour lutter contre les déserts numériques. Sur les neuf dixièmes du territoire français, depuis quelques années, le téléphone portable ne passe plus. C’est une difficulté pour les habitants et un obstacle au travail des élus. Et les deux tiers de la France sont privés de fibre optique. A Lourdios-Ichère, on a Internet mais à une vitesse qui rendrait fous les Parisiens !
De votre expérience d’élu local, à l’échelon municipal puis départemental, quels enseignements tirez-vous quant aux rapports qu’entretiennent les habitants d’un petit village avec l’Etat ?
Dès mon élection à la présidence de la République, je commencerai par reconstruire un Etat adapté à notre temps, c’est-à-dire un peu allégé en hauts-fonctionnaires à Paris car ils sont trop nombreux et souvent superflus. Ces technocrates croient œuvrer à l’aménagement idéal de la France. Depuis quarante ans, surtout depuis la fin du Commissariat au Plan et de la Datar, ils ont les mêmes fiches qu’ils glissent dans la pochette de la droite ou de la gauche, ce qui fait que le brave électeur vote toujours pour la même politique quels que soient ceux qu’il élit. J’abrogerai les trois dernières lois de l’administration Hollande en matière d’aménagement du territoire : la loi sur les grandes métropoles, les nouvelles régions, et la loi NOTRe qui crée d’immenses intercommunalités et condamne à mort les communes. Ce discours m’a valu un grand succès devant l’Association des maires de France alors que Macron s’est fait siffler. L’Etat n’a plus un sou et se retire des territoires. À Lourdios, on a failli perdre l’école plusieurs fois et c’est un combat permanent pour conserver notre maternelle. Car aujourd’hui s’il n’y a pas de maternelle dans un village, les mères de famille ne restent pas. Pour l’hôpital, on utilise celui d’Oloron-Sainte-Marie, à 25 kilomètres, mais il est question de le fermer, ce qui nous obligerait à aller au centre hospitalier de Pau, à 80 kilomètres de là. Quand on habite au fond de la vallée, cela prend presque trois heures pour s’y rendre à travers des routes très sinueuses, imaginez une femme enceinte dans ce cas-là !
Plus généralement, comment concevez-vous l’équilibre entre Etat, régions, départements et communes ?
Notre pays s’est construit autour d’un Etat à partir des provinces. Souvenons-nous que la rivalité entre Armagnacs et Bourguignons a duré quelques siècles. Notre pays est donc bâti sur des provinces fortes. Mais avec la République, il y a l’Etat et les communes. Les communes ont un sens très particulier en France, comme pratiquement nulle part ailleurs. Elles s’occupent de leurs habitants mais ont de surcroît la responsabilité du territoire. Or, la France est le troisième territoire d’Europe après l’immense Russie et l’Ukraine. Aussi, je permettrai aux communes de retrouver leurs prérogatives de façon à ce qu’elles puissent s’organiser comme elles le souhaitent. J’aimerais retrouver les communautés de communes d’il y a trente ans qui permettaient aux localités de se regrouper sur une zone géographique donnée, comme la vallée d’Aspe. C’était la bonne échelle parce qu’on se connaissait tous. La communauté de communes ne devrait pas être une instance de plus dans le mille-feuille territorial mais uniquement une organisation de facilitation. Idéalement, une intercommunalité pertinente permettrait aux communes de réaliser ce qu’elles ne peuvent pas faire seules.
Quelle différence avec les intercommunalités actuelles ?
Celles d’aujourd’hui sont géantes et s’étendent sur des centaines d’hectares au point que le lieu de commandement se trouve à trente kilomètres de certains villages. Il n’y a plus du tout cette proximité au moment où beaucoup de nos villages voisins ont perdu leur instituteur. Jusqu’à présent, Lourdios-Ichère appartenait à un regroupement de treize communes qui vient d’être élargi à quatre-vingts ! Cela désormais s’étend sur cent cinquante mille hectares.
Quid du département dans votre mille-feuille idéal ?
Le département est l’institution de proximité qui a fait ses preuves. Il permet d’intervenir aussi bien au niveau des infrastructures (routes, eau). Jadis, toutes les communes et les départements participaient au Fond national d’adduction d’eau potable, ce qui permettait de créer des fonds de réserve pour refaire les réseaux de canalisations. Or, les régions ne sont pas compétentes dans ce domaine et les départements n’ont plus un sou. Les communes n’existant plus politiquement, qui va s’en charger ? Ni les intercommunalités ni l’Etat, qui n’ont plus un sou. On est dans un système où rien n’a plus de sens.
… y compris les régions ?
Nos pauvres régions n’ont pas de passé. La réforme territoriale est un conglomérat construit en deux ou trois nuits à l’Elysée sans avoir été annoncée dans le programme de François Hollande. Les conseillers régionaux passent leur journée en voiture à faire des kilométrages fous et passent cinq minutes dans des réunions sans pouvoir s’occuper de leurs dossiers. Je ne conserverai peut-être même pas les anciennes régions (trop coûteuses et politisées), l’Etat, le département et la commune suffisent.
Avez-vous des solutions à proposer aux villes moyennes dont les centre-ville se meurent à mesure que leurs commerces de proximité ferment ?
Je donnerai les moyens à l’Etat et aux communes d’agir. Aujourd’hui, pour les grandes surfaces, c’est l’opération « portes ouvertes » en permanence : un distributeur arrive, décide d’installer un hypermarché à trois kilomètres du centre-ville, y accole un cinéma puis progressivement tous les services. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les commerces du centre-ville puissent fonctionner ? Ils ferment les uns après les autres et les habitants n’ont pas intérêt à rester dans ces mouroirs. Partout en France, on assiste ainsi à un mini-exode vers la périphérie des villes : les gens doivent désormais sortir de leur ville pour aller faire leurs courses dans les champs. Une ville exsangue ne peut pas irradier toute la région dont elle est le centre. Elle devient un astre mort où les gens vivent comme ils peuvent et n’attire plus les entreprises.
Retrouvez bientôt la deuxième partie de notre entretien avec Jean Lassalle.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !