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Jean-Jacques Debout, l’adolescence éternelle

Un adolescent d’autrefois...


Jean-Jacques Debout, l’adolescence éternelle
Jean-Jacques Debout, lors d'une émission en hommage à la chanteuse Mireille, 1991. Ina/Ina via AFP

Jean-Jacques Debout est la mémoire vivante du music-hall et de la chanson française. Il publie La Couleur des fantômes, un nouvel opus de ses souvenirs. L’auteur-compositeur et interprète se mue en conteur exceptionnel.


Jean-Jacques Debout s’est fait connaître en 1961 par un mélodrame, la plainte d’un enfant triste, Les Boutons dorés, de Jacques Datin (parolier) et Maurice Vidalin (compositeur), qu’ont chanté également Barbara et plus tard Adamo. Le grand succès lui est venu avec sa propre chanson interprétée par l’idole des jeunes, Pour moi la vie va commencer, du film D’où viens-tu Johnny ? (Noël Howard, 1963.) Les temps changent, une jeunesse se révèle : disposant d’un peu d’argent de poche, elle achète des disques, fréquente des lieux qui lui sont destinés…

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Aimé de tous, beau gosse, doué pour la musique, JJD est le « copain » idéal. Bien sûr, en 1966, il paraît sur la « photo du siècle », de Jean-Marie Périer [1]. Il croise une jeune femme ravissante, dont il tombe amoureux : il l’épouse. Ils ne se sont plus quittés. Elle se nomme Chantal Goya ; Jean-Luc Godard la choisit pour incarner, dans Masculin féminin (1966), la « demoiselle âge tendre » d’un monde que menace le désenchantement. Debout compose la musique du film, le visage de Chantal Goya reste gravé dans notre mémoire, ainsi que celui de Catherine-Isabelle Duport, disparue des écrans peu après. 

L’art de la conversation

À présent, Jean-Jacques Debout a 82 ans. Il a triomphé de quelques adversités redoutables. Il compose et il vient d’écrire la suite de ses mémoires. Les souvenirs se bousculent, l’entraînent, il s’y égare un peu : emportés par le flot du récit, les dates, les personnes, les faits, parfois, brouillent la chronologie. Il faut y voir la marque de sa générosité. On lui pardonne aisément ces télescopages : il a fréquenté tout le monde, alors il veut absolument nous présenter Marlène Dietrich, Jean Gabin, Jeanne Moreau, Jean-Paul Belmondo, Jacques Mesrine, Stevie Wonder, les deux grands Charles, Aznavour et Trenet, et mille autres qui rendent la lecture passionnante.

Jean-Jacques Debout pratique l’art presque perdu de la conversation : il est bien l’un de nos derniers et plus charmants causeurs. 

Rendez-vous rue Montpensier

C’était en 2004, au mois de juin. Il faisait beau ce soir-là, un temps à mettre Paris dehors. J’ignorais tout de Sandrine Rousseau, de Raquel Garrido je ne savais rien, et, lorsque j’évoquais le nom de Corbière, c’est le prénom de Tristan [2] qui me venait à l’esprit et non celui d’Alexis. Enfin, je n’aurais jamais songé à « manger mes morts », surtout depuis qu’un Brésilien, rencontré des années auparavant, s’était, un soir, montré pressant en me glissant à l’oreille : « As-tu vu le film Qu’il était bon mon petit Français ? » [3] 

Bref, ce 24 juin mes pas me conduisaient vers le Théâtre du Palais-Royal, rue Montpensier. J’étais convié au récital d’un garçon que j’avais toujours connu, un compositeur de refrains charmants qui accompagnaient ma mélancolie depuis toujours : Jean-Jacques Debout.

Il y avait foule devant le 38, qui forme avec la rue de Beaujolais un territoire enchanté : au 36 se trouve l’entresol où logeait Jean Cocteau et au dernier étage habitaient Mireille et Emmanuel Berl. Tous avaient pour voisine Colette, dont l’adresse était au 9, rue de Beaujolais : contiguïté rendue possible par l’angle droit que forment ces deux rues.

Une tragédie lente

Jean-Jacques Debout émergeait d’une longue période de troubles qui s’était achevée par un séjour en prison : il avait percuté un véhicule de la police et son taux d’alcoolémie, immédiatement contrôlé, dépassait quelque peu la limite autorisée…

Il parut sur scène, puis sonnèrent les accords de la première chanson, Nos doigts se sont croisés. Le texte est simple, sans mièvrerie excessive, mais empreint de cet accablement qui nous saisit lorsqu’on voit s’éloigner définitivement une silhouette aimée. Il rapporte la petite tragédie d’une rencontre entre un garçon et une fille sur une piste de danse : 

« Nos doigts se sont croisés
Pour la première fois
Lorsque tu as dansé
Près de moi, près de moi,
Nos yeux se sont aimés
Pour la dernière fois
Lorsque tu as dansé
Loin de moi, loin de moi. »

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Deux minutes cinquante-six secondes d’une plainte adorable : c’est suffisant pour que se forme la combinaison de l’espoir et du chagrin. Dans le slow, préliminaire amoureux tombé en désuétude, deux corps vérifient leur compatibilité, puis la signifient par le délicieux abandon de la tête sur une épaule ou par l’enveloppement consenti d’une hanche par une main audacieuse.

Le slow, c’est le piétinement balancé de deux individus qu’isole la pénombre exquise. Grâce au slow, nous mesurons l’attirance que nous éprouvons et celle que nous suscitons. Un slow qui s’achève met fin à une épreuve de séduction commencée par un regard : « Nos yeux se sont aimés / Pour la dernière fois / Lorsque tu as dansé / Loin de moi, loin de moi. »

Ce soir-là, 700 adolescents éperdus qui avaient dépassé la date prescrite firent une ovation debout… à Debout. Notre ferveur disait notre acquiescement à l’ordre amoureux que nous suggéraient ces couplets sur un air de « trois fois rien » : le slow est une leçon de modestie :[4] 

— Vous dansez mademoiselle ?
— Oui, mais pas avec vous !

La Couleur des fantômes, de Jean-Jacques Debout, Talent éditions, 336 p., 2022, 20,90€.

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[1] La « Photo du siècle » est le surnom d’une photographie rassemblant les vedettes yéyé de l’époque prise par Jean-Marie Périer en 1966 pour le magazine Salut les copains.

[2] Les Amours jaunes, Tristan Corbière (1845-1875) : tiré de ce recueil de poèmes, « Armor » parut chez René Helleu, en 1935, illustré de huit eaux fortes signées Romanin. Ce pseudonyme cachait un jeune sous-préfet de gauche, un vrai rebelle qui ne se donnait pas le genre insoumis : Jean Moulin.

[3] Film de Nelson Pereira dos Santos (1971).

[4]. Serge Gainsbourg a signé un superbe slow, Ne dis rien, interprété par Ana Karina, tiré de sa comédie musicale Anna, réalisée par Pierre Korlanik (1967). Parmi les œuvres majeures de la « slowénie », Il y a de l’amour dans l’air, de Claude-Michel Schönberg, par Bruna Giraldi : voix d’imploration, gorge lacrymale…irrésistible ! 

Janvier 2023 – Causeur #108

Article extrait du Magazine Causeur




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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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