Jean Germain s’est donné la mort. Comme Robert Boulin et Pierre Bérégovoy avant lui. Et probablement pour les mêmes raisons.
Universitaire passé à la politique, il fut pendant presque vingt ans un maire de Tours manifestement apprécié. Brutalement battu dans le tsunami bleu de mars 2014, peut-être a-t-il subi aussi l’usure du pouvoir et l’affaire judiciaire qu’on lui avait jetée dans les jambes. Dans les quelques informations dont on dispose par la presse, on retrouve les éléments habituels qui permettent de gonfler les baudruches au grand plaisir des médias, des amis politiques dont il y a tout à craindre, et aussi d’une justice qui n’est pas mécontente de faire des cartons permettant à certains de se mettre en avant.
Ceci étant, si la bonne foi de Jean Germain est probable, et si le chef ne s’occupe pas des détails, l’ingénuité ne saurait constituer une excuse absolutoire pour celui qui dirigeait, en bon cumulard, plusieurs collectivités de grande taille. L’inculture juridique et surtout judiciaire de nos élus est massive. Ce qui permet aux profiteurs sans scrupules de faire leur beurre. Cela semble le cas en l’espèce, et Jean Germain en a apparemment été victime.
Cela méritait-il une procédure pénale ? Je ne sais y répondre. Je constate simplement que cela a fini par le tuer. Parce qu’il faut savoir ce que veut dire une « mise en cause » pour un homme public. Ce que l’on appelle pour eux le « risque pénal » ce n’est pas une éventuelle condamnation à la fin de la procédure. C’est tout ce qui précède, campagnes de presse, rumeurs, calomnies, mensonge, lettres anonymes qui détruisent non seulement l’honneur et l’estime de soi, mais rompent brutalement le lien à la population que vous représentiez. Les élus aiment le pouvoir et les ors, mais souvent, ils aiment aussi les gens.
Et puis il y a la violence de la justice. Qui est chose relative mais constitue pour l’homme normal une agression surprenante et douloureuse. La garde à vue est quelque chose de très difficile, une perquisition à son domicile qui pulvérise l’intimité, une expérience pénible. Le constat face à la machine judiciaire, qui connaît mal les conditions concrètes de la gestion publique, que l’innocence et la bonne foi ne protègent de rien, provoque une surprise accablée.
Comme souvent dans les affaires politico-judiciaires, les choses ont commencé par une lettre anonyme. Outil bien commode, dont la justice française fait grand usage. Une certaine presse aussi d’ailleurs. Et surprise, cette délation vient souvent de son propre camp. Avec la fin des idéologies, l’engagement politique n’étant plus que la gestion d’une carrière, il y a de la concurrence et des règlements de compte à tire-larigot… Dans l’affaire Germain, un nom circule avec insistance. Je ne sais pas si c’est à raison, mais en tout cas spontanément c’est de ce côté-là que se sont tournés tous les yeux. Et non vers les opposants politiques.
Autre conséquence d’une mise en cause judiciaire : soudain, vous attrapez la peste. Tous vos amis, vos obligés, vos protégés vous tournent le dos. Quand ils n’y tirent pas. À propos d’obligés, naturellement toutes les personnes impliquées vous chargent. Bien sûr, vous étiez le chef, vous avez tout organisé et eux n’ont fait qu’obéir. Ce qui vous arrive n’est pas contagieux, mais vous pourriez en mourir. Ce qui serait une bonne chose, cela libérerait des places. L’amitié, le respect, la déférence, la flatterie voir la flagornerie, tout cela disparaît tout d’un coup. Les visages se ferment et se tournent. Les petits complots se nouent. « Le bateau risque de couler, il vaudrait mieux le jeter par-dessus bord ». Et quand à cela s’ajoute la perte d’une élection et que celle-ci vous est naturellement imputée, la solitude est totale. Pierre Bérégovoy en est mort le 1er mai 1993 après la catastrophe des législatives dont on le rendait responsable.
Après le suicide de Germain, les responsables socialistes ont eu la réaction que l’on pouvait attendre. Avec une absence totale de vergogne, ceux qui, foulant aux pieds tous les principes, ont instrumentalisé la justice dans une chasse au Sarkozy invraisemblable viennent maintenant déplorer la « chasse judiciaire aux élus ».La presse va pendant quelques jours regarder un peu le bout de ses chaussures avant de reprendre les bonnes habitudes. Il y a peu de chances que l’on échappe à un prêche d’Edwy Plenel.
Les réseaux sociaux irrigués par le poison du « tous pourris » s’en sont donnés à cœur joie. Cracher anonymement sur un cadavre doit être quelque chose de délectable. « Jean Germain est un lâche, la preuve qu’il était coupable, un innocent n’aurait pas fait ça, pourquoi avoir eu peur de l’audience ? ».
Jean Germain a eu peur de l’audience ? Évidemment, et à juste titre. Pas parce que les magistrats du siège sont méchants, mais parce que la justice n’est pas une partie de plaisir. Et l’audience pénale lorsqu’on est poursuivi une épreuve. Encore plus difficile lorsque l’on a été un homme public. Comme l’a dit Malraux, l’homme est un petit tas de secrets. Et ces secrets vont être dévoilés décortiqués. Jean Germain aurait probablement dû s’expliquer sur sa relation avec sa collaboratrice taïwanaise et peut-être d’autres choses dont il ne voulait pas que ceux qui l’aiment les connaissent Le précédent terrifiant de l’audience dans l’affaire du Carlton de Lille pouvait légitimement inquiéter. Pendant des journées entières, on a décrit, décortiqué les pratiques sexuelles des uns et des autres, raconté le détail des parties fines et débattu sur la portée de la sodomie. J’espère que les enfants des prévenus avaient soigneusement éteint tous leurs écrans.
Jean Germain ne voulait pas s’asseoir « sur le banc d’infamie » comme on le nommait aux enfants de sa génération. Il devait avoir la conviction construite pendant l’instruction que sa bonne foi ne serait pas reconnue. Qu’il serait traîné dans la boue et surtout traité de voleur par les ignorants qui sont les plus nombreux. Il n’avait pas le cuir assez épais. Tout le monde n’est pas équipé comme Nicolas Sarkozy. Il a préféré se retirer. En accord avec lui-même, et c’est ce qui compte.
*Photo : SOUVANT GUILLAUME/SIPA. 00664142_000014.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !