Deux expositions au Palais des beaux-arts de Lille rendent hommage à Jean-François Millet (1814-1875). On commence enfin à mesurer l’influence considérable de ce peintre-paysan passionné par les gens ordinaires sur les artistes européens et américains.
Tout au bout du département de la Manche, au nord-ouest, à l’endroit le plus reculé et le plus sauvage, se situe la pointe de La Hague, connue de nos jours pour son site nucléaire. C’est là, dans un hameau à 100 mètres de la mer, que naît en 1814 Jean-François Millet[tooltips content= »Millet se prononce en principe Mi-lé (mi’le) »]1[/tooltips].
Enfant de paysans, il travaille à la ferme et la prend même en charge temporairement à la mort de son père. Grâce à un parent curé, il accède à une petite instruction. En visitant le musée des beaux-arts de Cherbourg, il ressent de l’intérêt pour la peinture. À 19 ans, il commence à se former en faisant des copies, puis se lance dans des compositions personnelles et obtient quelques succès locaux. Il a 23 ans quand la municipalité de Cherbourg lui attribue une bourse. Il part à Paris et entre à l’École des Beaux-Arts.
Millet lui-même considère qu’il « ne sait pas peindre »
Il mène pendant quelque temps une vie parisienne et itinérante. Cependant, il ne se plaît guère en ville. À 35 ans, il fuit la capitale pour s’installer à Barbizon, en bordure de la forêt de Fontainebleau. Il ne quitte plus cet endroit rural où il vivra jusqu’à sa mort en homme de la campagne. Il est paysan dans l’âme et est ressenti comme tel. Beaucoup considèrent en outre qu’il est inculte, à cause de son aspect mal dégrossi et de sa barbe broussailleuse, mais c’est faux. Il a l’habitude de lire avec régularité, comme d’autres mangent leur soupe à heure fixe. Selon les jours, il parcourt Montaigne, Virgile, Chateaubriand, Fenimore Cooper, Hugo ou Milton. Sa lecture préférée est cependant la Bible. Il ressent une foi profonde qui fait écho à la dévotion inconditionnelle et un peu terrifiante, semble-t-il, de sa mère et de sa grand-mère. La religion l’inspire ou l’inhibe, selon les situations. Ainsi, après le décès de sa première épouse, rencontre-t-il une autre femme. Il lui fait neuf enfants, mais n’ose pas se marier avec elle. Ça ne se fait pas, croit-il, de se remarier quand on est chrétien. Il attendra, pour franchir le pas, la mort de tous ses ascendants du Cotentin. Ces derniers ne connaîtront jamais l’existence de la famille de l’artiste à Barbizon. Barbey d’Aurevilly résume la personnalité de Millet par ces deux mots : « biblique et autochtone ».
La carrière de Millet débute comme celle d’un artiste très secondaire. Il ne remporte aucun prix. Il ne fait preuve d’aucune originalité dans le choix de ses sujets. Il exécute surtout des portraits à la demande. Sa facture est souvent pauvre et plate. « Une exécution sèche et maladroite », note Delacroix dans son journal. Millet lui-même considère qu’il « ne sait
