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France: déjà mille ans de laïcité

Le trône contre l'autel


France: déjà mille ans de laïcité
Jean-Francois Colosimo, essayiste, éditeur et enseignant français. 18/05/2011 Numéro de reportage : 00641472_000021 Auteurs : BALTEL/SIPA

Comme le démontre brillamment Jean-François Colosimo dans La Religion française, la France n’a pas attendu 1789 ou 1905 pour devenir laïque. C’est dès l’an mil que nos rois ont soigneusement tenu la religion à l’écart de la politique. Exégèse.



Il aura donc fallu un écrivain orthodoxe (adepte à ce titre d’une relation « symphonique » entre l’Église et l’État) pour nous livrer cette belle leçon de laïcité. Un écrivain d’autant moins porté sur le profane qu’il dirige, depuis six ans, une maison d’édition, Le Cerf, dont la plus fameuse collection s’appelle « Sources chrétiennes ». Sauf que, comme il le souligne dans sa magistrale introduction, Jean-François Colosimo dispose d’un atout considérable pour nous réinformer sur la guerre froide que le trône a menée contre l’autel tout au long de l’Ancien Régime : de souche calabraise, il est né à Avignon. Non loin de la tour Philippe-le-Bel, qui, juste en face du fameux pont Saint-Bénézet, tient en respect depuis 1360 l’ancienne cité pontificale. « La monarchie naissante a tâché de circonscrire une juste autonomie de la sphère temporelle, fondée sur l’alliance du prince et du peuple, qu’il a vite qualifiée de républicaine », résume l’érudit provençal. Pas sûr toutefois que les militants du Printemps républicain soient d’accord pour se placer sous le signe des Capétiens…

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Pour Colosimo, la France se définit par une opposition originelle à Rome, celle des Césars comme celles des papes. Raison pour laquelle nos monarques ont toujours préféré se réclamer symboliquement du roi David (qui lui aussi avait maille à partir avec les empires environnants), plutôt que de quelque filiation latine. Puis l’auteur passe en revue, au fil de 420 pages solidement documentées, les différents épisodes de la lutte impitoyable livrée, siècle après siècle, par le pouvoir français contre tous les projets théologico-politiques qui n’ont cessé de le menacer : cathares, templiers, calvinistes, jansénistes, jésuites, etc. Et de se pencher sur les cas les plus tangents. Tel celui de Robert Le Pieux, premier de nos rois thaumaturges, particulièrement indocile envers le Vatican et plusieurs fois menacé d’excommunication malgré ce surnom qui exhale l’encens. Ou Saint Louis, pas si illuminé que cela, quand on sait qu’en 1256 il impose la présomption d’innocence aux tribunaux de l’Inquisition.

Mais alors, objectera-t-on, Voltaire nous aurait donc menti ? Les Lumières ne seraient pas la courageuse entreprise de sécularisation que l’on apprend aux écoliers, accomplie par une « génération Charlie » avant l’heure, lassée de vivre dans un pays aux mains des bigots et des fanatiques ? Si Colosimo ne nie pas l’affaire Calas ni le supplice du chevalier de La Barre, il répond que le « droit divin » ne doit pas être regardé comme le signe d’une impitoyable théocratie, mais plutôt comme la formule d’un anticléricalisme subtil et résolu : en se référant au Créateur – et rien qu’à lui – le souverain fait savoir qu’il n’acceptera aucun accommodement raisonnable avec quelque intercesseur que ce soit. Et d’expliquer que les régimes suivants ont eux aussi poursuivi cet inlassable combat. Sous ce nouveau jour, on comprend mieux la manière rude avec laquelle Napoléon poursuivit l’émancipation des juifs (entamée sous Louis XVI et achevée à la fin de la Restauration) en promulguant notamment le « décret infâme » qui leur refusait le droit d’échapper à la conscription alors que les autres citoyens pouvaient payer un remplaçant. Et l’on s’explique mieux les scènes violentes rapportées lors de l’expulsion des congrégations en 1880, qui firent, on l’a oublié, leur lot de morts côté catholiques.

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Reste une question. Cette manière si singulièrement française, et parfois si brutale, d’articuler le spirituel et le temporel a-t-elle quelque intérêt à être perpétuée en 2019 ? Longtemps, la distinction entre les croyances (intimes par définition) et les cultes (qui s’expriment dans l’espace public) – l’antique dualité entre la superstitio et la religio, comme le rappelle Colosimo – a semblé claire et acceptée de tous. Désormais, c’est la philosophie libérale anglo-saxonne qui prévaut. Nos contemporains respectent davantage la foi, en ce qu’elle est censée marquer une sacro-sainte identité personnelle, que l’appartenance nationale. À l’heure où le Saint-Siège est devenu une ONG « no border » et où Jupiter nie l’existence de la culture française, il n’est pas certain que la célébration des racines profondes de notre laïcité suffise à impressionner l’hydre islamiste.

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Décembre 2019 - Causeur #74

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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