Nouvelles révélations sanglantes (partie 1/2)
Le journaliste et écrivain Jean-Pierre Thiollet, déjà auteur de deux livres sur Jean-Edern Hallier, récidive avec Edernellement vôtre. Un troisième volet consacré à l’enfant fou de la Cinquième République des Lettres, considéré un temps comme l’écrivain le plus doué de sa génération par François Mitterrand…
Causeur. Avez-vous dès le départ envisagé d’écrire un triptyque consacré à Jean-Edern Hallier ou le concept est-il venu en cours de route dans votre esprit ?
Jean-Pierre Thiollet. Les deux… Au tout début des années 1980, peu après avoir fait sa connaissance, Jean-Edern Hallier m’avait tenu des propos que j’ai toujours en mémoire… Puis au tournant des années 2000, j’ai vu surgir des ouvrages qui ne m’ont pas paru, en général et à tort ou à raison, de nature à « asseoir » le devenir posthume de l’écrivain et de son œuvre. Pour qu’il y ait perspective de postérité, il faut, à mon sens, de la vraie « littérature secondaire », qui ne jouit d’aucune considération en France alors qu’elle est tenue en haute estime en Allemagne, aux États-Unis et dans bon nombre d’autres pays. En 2008, j’ai publié Carré d’Art : Barbey d’Aurevilly, Byron, Dali, Hallier, qui a constitué le « socle » de mon entreprise. Puis, percevant que les personnes qui avaient connu ou croisé Jean-Edern se raréfiaient et que les parutions se faisaient attendre, je me suis lancé dans l’élaboration d’une série de volumes. Le plus extraordinaire peut-être, c’est que plus j’avance dans ma démarche et plus je m’aperçois de l’ampleur de la matière à traiter… Jean-Edern Hallier, c’est une mine !
Comment expliquez-vous la fascination qu’il exerce sur vous encore aujourd’hui, sachant que votre trilogie s’inscrit dans une longue série d’une quinzaine d’ouvrages consacrés au personnage depuis sa mort, par des auteurs d’horizons divers. Pas mal pour un pestiféré à qui l’Académie française a toujours refusé le statut d’« immortel »…
La première fois que j’ai croisé Jean-Edern Hallier reste gravée dans ma mémoire. C’était il y a quarante ans, au siège du Quotidien de Paris, journal du groupe de presse dirigé par Philippe Tesson. Le premier livre de Hallier que j’ai lu, Bréviaire pour une jeunesse déracinée, m’a également beaucoup marqué. Par delà nos nombreuses conversations téléphoniques qui ont fait l’objet des fameuses écoutes de l’Élysée, j’ai rencontré à diverses reprises Jean-Edern, déjeuné en sa compagnie, et par deux fois, nous avons eu un long entretien seul à seul, sans motivation d’ordre journalistique, où je me souviens avoir été conscient du privilège et m’être montré très concentré.
Hallier est un personnage complexe, d’une grande intelligence, mais à la chaleur humaine variable
Au risque qu’elle paraisse un peu présomptueuse, je peux d’ailleurs vous faire une confidence : j’ai l’intime conviction qu’à l’occasion d’au moins l’un de ces échanges, Hallier a eu la prescience que son devenir posthume se jouait un peu ce jour-là… J’ai donc une sorte de responsabilité à son égard. Comme vous le signalez, la parution d’ouvrages plus de vingt ans après la mort d’un écrivain est un signe plutôt positif et encourageant. Mais rien n’est encore joué. Tant s’en faut. L’Académie française s’est, elle, sottement fourvoyée. Il y a eu deux ou trois de ses membres, Jean Dutourd, Jean d’Ormesson et sans doute Michel Droit, pour en avoir eu conscience. Face à la bêtise, ils ont été impuissants. C’est, à dire vrai, sans importance, d’autant que l’institution en est punie : dévaluée par la médiocrité ou l’insignifiance de la plupart de ses recrutements, sur le plan littéraire s’entend, elle n’est plus aujourd’hui qu’un Lions Club d’arrondissement.
Votre livre consiste en un patchwork littéraire, à l’image de la plupart des œuvres de votre modèle. La célébration de la vie, les bons mots et l’art de la table tiennent lieu de ferment dans cet édifice chaleureux. Signer un livre d’épicurien, est-ce finalement la meilleure façon de rendre hommage à Jean-Edern Hallier ?
La meilleure façon ? Je ne saurais le prétendre et il ne m’appartient pas de toute façon de l’assurer. Mais vous avez tout à fait raison sur le fait qu’il y a un parti pris de ma part : j’essaie en effet d’aboutir à un « profil » d’ouvrage que j’aimerais rencontrer plus souvent comme acheteur et lecteur. En outre, si l’approche peut, je le conçois, surprendre, elle ne fait à mon avis que s’inscrire dans une cohérence : Jean-Edern Hallier était lui-même un « patchwork » ambulant et son goût pour un certain art de vivre, son côté épicurien, ont existé, par-delà les difficultés et les vicissitudes, jusqu’à sa mort.
Ce troisième volet renferme des témoignages inédits, dont celui, édifiant, de l’avocate Isabelle Coutant-Peyre, qui révèle que Jean-Edern Hallier a tenté de la tuer! Et la scène vaut son pesant de delirium tremens…
Soyons clairs : si la scène que vous évoquez a effectivement un caractère surréaliste et édifiant, il n’y a eu crime ni délit ni poursuite pénale… Hallier est un personnage complexe, d’une grande intelligence, mais à la chaleur humaine variable. Il pouvait lui arriver de ne penser qu’à lui-même… En particulier quand il a voulu faire décamper cette relation amicale qu’il avait accepté d’héberger et qui soudain l’encombrait. Il y a, c’est vrai, du delirium tremens dans les pages en question qui contribuent beaucoup, je crois, à l’intérêt documentaire du récit et à la portée du livre. Mais je tiens à le souligner : Isabelle Coutant-Peyre était une amie de Jean-Edern avant l’incident en question et l’est restée par la suite.
Autre révélation inédite: on y découvre le récit d’une altercation sanglante au Café de Flore, à mains nues, entre Hallier et Pierre Bergé à la suite d’accusations lancées contre ce dernier dans L’Idiot international…
Cet épisode, il me semble, n’a été connu à l’époque que d’un tout petit nombre de personnes et est resté très confidentiel. L’évocation a à mon sens le triple mérite de s’appuyer sur des faits rigoureusement authentiques, d’avoir une dimension à la fois pittoresque et épique, et de renforcer la valeur documentaire de l’ouvrage. Hallier avait plus que du cran: il refusait de se laisser impressionner par les « tout-puissants » de son temps et avait un côté donquichottesque qui a de quoi, a fortiori avec le recul du temps, le rendre attachant.
À défaut d’avoir sa place dans la devanture dorée de la littérature, l’écrivain l’a trouvée dans l’histoire de la presse française, à travers L’Idiot international, qui fait toujours couler beaucoup d’encre. N’est-ce pas ce journal légendaire, dont il était le fondateur et le directeur, qui, finalement, restera le grand œuvre de Jean-Edern, lui offrant la postérité dont il rêvait ?
Je ne le crois pas. L’Idiot, dont la reparution commença en 1989 et dont le dernier numéro sortit début 1994 fut à mon sens une erreur qui se transforma en piège. Hobereau guerillero transformé en desperado du Marais, Jean-Edern eut alors un entourage de qualité incertaine, où des êtres trop intéressés pour se révéler réellement intéressants côtoyaient des personnages douteux voire glauques. Jean-Edern évolua le plus souvent entre flagorneurs, exploiteurs toujours en puissance, faux amis et piètres agités du bocal, toujours prompts à pousser à l’irresponsabilité sans limite sans en assumer la moindre conséquence… En outre, un journal, c’est, par essence, l’actualité, le temps qui passe. À la différence du livre qui, lui, peut relever du temps qui dure. Dans ces conditions, je table bien plus sur Le Premier qui dort réveille l’autre pour que le rêve de postérité s’accomplisse.
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Jean-Pierre Thiollet, Hallier. Edernellement vôtre (Néva Éditions)
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