Et si Jean d’O était le plus grand VRP que la littérature française ait connue. Mieux que Jean-Pierre Marielle dans L’entourloupe, plus fort que Jean Carmet dans Comment réussir quand on est con et pleurnichard ?, plus fourbe que Roger Hanin dans Le Sucreet plus luciférien que Noël Roquevert dans Un singe en hiver. Le garçon a du talent, un doigté inimitable pour mettre dans sa poche les animateurs de télévision, les starlettes de cinéma et les gogos acheteurs. Chez lui, c’est inné, ce don de faire lustrer son énième roman où il sera question de l’ange Gabriel, de Chateaubriand et des misères du temps.
Qu’on le dise d’emblée, d’Ormesson est doué, excessivement doué, supérieurement doué, peut-être même le meilleur vendeur de sa génération. Il n’est pas question ici de gloser sur sa prose, quiconque aurait un jour, par mégarde, ouvert l’un de ses ouvrages, constaterait l’embrouillamini du style. On sait depuis longtemps que ce n’est pas à l’aune de la qualité littéraire que l’on juge un écrivain. Ce serait trop facile, tant de masques tomberaient, l’édition, déjà en crise, n’y survivrait pas. Jean d’Ormesson est une sorte de maître dans l’art d’enfiler les idées convenues, les sourires enjôleurs et les manières d’Ancien Régime. Il nous offre un spectacle, un moment de « culture » pour tous, le professeur descend de son fauteuil d’académicien pour parler aux téléspectateurs.
Contrairement à ses prédécesseurs qui pénétraient dans l’arène médiatique avec des certitudes et des sentences à revendre, d’Ormesson ne commet aucune erreur de style ou d’appréciation. Il faut remarquer ici sa capacité à répondre aux questions les plus stupides avec bonhommie. Les invités sur le plateau sont déjà sous le charme, le présentateur se croit même un peu plus intelligent et les gens, devant leurs téléviseurs, sont convaincus que Jean d’Ormesson est un très grand écrivain. La preuve, il est capable de citer Stendhal comme d’autres égrènent les Champions de France de Football depuis 1958. Il est si cultivé, si fin, et puis vous avez vu ses yeux bleus, et toujours un mot gentil pour la jeune et belle femme qui se trouve assise à côté de lui.
C’est un gentleman, oui, un gentleman cambrioleur qui va réaliser avec La conversation, comme chaque année, un casse dans les librairies de France. Un travail de professionnel. On en pleurerait tellement c’est lumineux. Quand la démagogie atteint une telle perfection, s’incliner devant ce génie des affaires est la moindre des choses. Car si nous ne lui reconnaissons aucune véritable aptitude littéraire, sa technique commerciale est ahurissante de maîtrise et d’efficacité. Ne vous méprenez pas, cette fluidité du bavardage, cette façon de faire croire qu’il n’a rien demandé à la vie, qu’il a suivi benoîtement son chemin alors qu’il n’est qu’ambition et volonté, ne sont pas arrivées du jour au lendemain. Il a beaucoup travaillé. Il a parfait son discours, l’a poli aux angles, lui a donné les fioritures nécessaires, un vrai ébéniste de la langue de bois.
Du temps où il officiait au Figaro et où sa plume néoconservatrice faisait bondir Jean Ferrat de rage, son image était « clivante » comme disent aujourd’hui les instituts de sondage. Pour certains, il était fidèle à la tradition française de l’ordre établi, de la bien-pensance et du courage politique comme dernier rempart à la menace bolchévique. Pour d’autres, il était un dangereux suppôt de la noblesse française et de la bourgeoisie d’affaires qui n’a qu’un seul but : faire taire le peuple ! Jean d’Ormesson avait bien conscience qu’en blessant la moitié de la France, il amputait son propre marché, se privant ainsi de milliers de futurs lecteurs. Quel affreux gâchis ! Pour un homme qui a connu des problèmes de toiture sur son château, il fallait absolument réagir, quitte à mettre un mouchoir de soie sur ses propres convictions. Autrefois, il en avait et ne se privait pas pour les exposer avec fracas dans les colonnes du quotidien.
Mais l’époque des combats idéologiques est passée de mode. Et Jean d’O a horreur de passer pour un vieux chnoque. Alors, il a changé de stratégie de fond en comble, revu son positionnement et réappris à s’exprimer en public. Il a fait un travail sur lui qui mérite vraiment le respect. Quel homme d’âge mûr aurait la force de s’adapter au monde moderne ? Chapeau bas, Monsieur d’Ormesson. Vous avez été le premier à comprendre la force de la télévision, son extraordinaire pouvoir sur les masses. Vous avez été, dès les années 80, l’un des plus habiles bateleurs des cercles littéraires. Je suis même sûr que le succès vous a dépassé. Vous ne vous attendiez pas à un tel engouement pour votre personne. Rendez-vous compte, même des chanteurs à la mode se faisaient « tatouer » votre nom sur le corps ! Vous n’en demandiez pas tant. Seulement qu’on achète vos livres.
J’ai, moi-même, failli être conquis par vos chemises bleues, vos cravates en tricot, vos vestes en laine peignée et votre cabriolet Mercedes joliment suranné. Vous incarnez le bon goût. Même votre bronzage éclatant ne jure pas avec vos dents blanches. Vous parlez avec passion des auteurs morts et votre modestie vous honore. Et puis dans la vulgarité ambiante du petit écran, vous êtes comme une bouffée de nostalgie, un sursaut d’élégance. Alors tant pis, si toutes ces manœuvres sont calculées, si votre but ultime est de nous dépouiller de quelques euros pour qu’on courre acheter votre dernière livraison, vous mettez tant d’énergie et de conviction à vous vendre qu’on vous pardonne.
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