Y a-t-il un lien entre fatigue du melting pot à la française et construction européenne ? À cette question, Jean-Claude Barreau répond par l’affirmative dans son dernier livre. C’est évidemment un eurosceptique assumé qui accuse l’idée européenne d’avoir grippé cette machine à fabriquer des Français que sut longtemps être la France.
Conseiller de François Mitterrand à l’Élysée, patron de l’Office des Migrations internationales et «Monsieur immigration» place Beauveau, sous Pasqua puis sous Debré, ce souverainiste fut, pendant vingt ans, un acteur qui eut à connaître des dossiers migratoires. La question posée par Liberté, égalité, immigration est donc formulée par un praticien.
L’assimilation est la solution
Barreau rappelle qu’au cours des trois dernières décennies, les arrivants légaux n’ont jamais cessé de représenter peu ou prou 300 000 cartes de séjour par an. Les chiffres récents colportées par la presse sont biaisés, dit-il, car ce sont des flux nets (aux alentours de 100 000) qui intègrent le départ de près de 200 000 français, souvent jeunes et bien formés. Sans surprise, l’auteur préconise de restreindre considérablement le volume des entrées, en accélérant le traitement des demandes d’asile, en renvoyant rapidement les déboutés et en expulsant massivement les clandestins, ce qui n’a plus été fait depuis le départ de Pasqua du ministère de l’Intérieur. Immigrer clandestinement coûte cher et la forte probabilité d’être expulsé dissuade les candidats au départ mais nul ne pourra cependant fermer les frontières, reconnaît l’auteur. Barreau préconise le ralentissement du flux mais aussi l’assimilation, seul moyen d’éviter la coexistence hasardeuse de peuples différents sur un territoire.
Misère du sans-papiérisme
Ceux qui préconisent l’accueil massif de réfugiés le font généralement en partant du principe que les nouveaux venus pourront se comporter chez nous, comme s’ils étaient chez eux, important leur culture d’origine, les peuples étant ainsi jugés interchangeables. Autre revendication chez certains « sans-papiéristes », celle d’un droit à la réparation, à quelques siècles de distance, par d’ex-colonisés appelés à devenir colons à leur tour. Balayant ces utopies délirantes, dont les récentes manifestations à Calais révèlent qu’elles sont partagées par une minorité d’extrémistes (les nouveaux bourgeois de Calais), Barreau montre que l’immigration n’est pas un enjeu moral. En ce sens, l’immigration n’est ni bonne, ni mauvaise en elle-même. Pour renforcer une nation, l’immigration suppose que deux conditions s’y trouvent simultanément réunies.
Immigrer, c’est changer d’histoire
D’abord, il faut le plein emploi pour que l’immigration s’avère un bon calcul et reste une bonne action sinon la concurrence entre main d’œuvre immigrée et main d’œuvre indigène exercera des effets politiques redoutables. La nation d’arrivée doit aussi manifester une volonté d’assimilation forte. Cette volonté s’est comme évaporée. En témoigne a contrario un Alain Juppé, par exemple, qui estime que l’intégration doit être préférée à une assimilation jugée trop ambitieuse. Erreur tragique cependant qui méconnait une évidence que rappelle Jean-Claude Barreau : « immigrer, c’est toujours changer d’histoire et pas seulement de géographie. » Pourtant, sans cette volonté de digérer l’étranger et d’en faire un compatriote, donc un semblable, il ne saurait y avoir de « vivre ensemble » mais des vivres ensembles qui finiront par se détester.
Il faut s’aimer pour être aimable
Cette volonté d’unité légitime le processus d’assimilation. Mais la réussite du mécanisme résulte moins de l’imposition d’un modèle ou de valeurs indigènes sur les arrivants que d’un phénomène d’admiration et in fine d’un désir d’imiter et de ressembler au peuple d’arrivée. Sans désir de s’assimiler, pas d’assimilation et sans assimilation, des migrations massives débouchent sur un remplacement de populations (les colonies grecques qui fondèrent la cité phocéenne évincèrent les populations locales). Ce désir d’assimilation qui est généralement celui des enfants d’immigrés et non des parents (l’immigration est souvent un exil et un exil est presque toujours douloureux) ne naît que si le peuple indigène possède un minimum de confiance en lui. L’assimilation résulte d’une séduction. Il faut s’aimer pour être aimable. Sinon, comment admirer un pays qui n’a plus confiance en lui ? La fêlure du creuset français et le départ de tant de Français dynamiques procèdent sans doute des mêmes causes. Comment demander à des enfants d’étrangers d’être fiers de la France alors que le pays et, en particulier, ses jeunes et ses dirigeants ne croient plus en son avenir ?
Élites traîtresses
Et c’est là où nous retombons sur le lien original et pertinent que Barreau établit entre ratés de l’assimilation et construction européenne comme entreprise de dépassement de la nation. Le fait que nos élites aient choisi de fondre l’Hexagone dans le grand tout continental bloque l’assimilation. D’abord, l’amalgame national ne fonctionne plus car il est rendue inutile au nom de l’Europe. La construction européenne est porteuse de la même utopie sans frontière que l’on retrouve chez nos néo-bourgeois de Calais aspirant à créer un ensemble politique qui soit un espace indifférencié de circulation entre personnes appartenant à des peuples différents. Européistes et sans-frontiéristes délient identité politique est identité culturelle. Une fois l’Europe faite, les Français seront chez eux au Royaume-Uni et les Britanniques se sentiront à la maison en Italie ; etc.
L’enlèvement de l’Europe
L’assimilation est aussi empêchée parce que, dans l’esprit de nos élites, l’Hexagone n’est plus l’échelon de la puissance, ni le cadre de l’avenir. Cette ambition de forger un État à l’échelle continentale se fonde sur la conviction que les nations sont nanifiées par la mondialisation. Et Barreau de rappeler que Mitterrand voulait ce grand saut dans l’inconnu européen. « Tonton » répétait, à qui voulait l’entendre, qu’il était le dernier président, non par mépris de ses successeurs mais car, dans son esprit, le pouvoir suprême devant être transféré au dessus, la charge d’un président ne serait jamais plus aussi substantielle que la sienne. Tel est le sens profond du « rosebud » politique livré par François Mitterrand dans son dernier discours au Bundestag : « la France est notre patrie et l’Europe est notre avenir ». Même si l’on aime la France, faire l’Europe implique que la « grande nation » soit dépassée. Cette diminution dans les têtes (diminutio capitis) légitime la construction européenne.
L’idée européenne puise ses racines dans un complexe d’infériorité et dans une défiance dans l’avenir national de la part des élites. L’Europe, on le sait, souffre par ailleurs d’un déficit d’affectio societatis, elle est une idée qui ne suscite ni rêve, ni adhésion. La panne de l’assimilation réside tout entière dans cette injonction paradoxale : demander aux enfants d’étrangers d’aimer une patrie dont les dirigeants répètent avec Drieu la Rochelle : « pauvre France chérie, le temps des patries est fini! »
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