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Jean Clair, l’homme qui en disait trop


Jean Clair, l’homme qui en disait trop

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À l’époque où il écrit ses chroniques, Jean Clair est ce jeune conservateur de musée qui revient d’Harvard où il a vu, de ses yeux, à quel provincialisme l’art américain aura réduit celui de l’introuvable École de Paris. Il est celui qui possède déjà cette science universelle, non seulement de l’art, mais aussi de la littérature, de la philosophie, enfin de tous les moyens que s’accorde la pensée. Il cherche à guider, dans un moment fatidique, le goût de ses contemporains vers l’intelligence d’une matière qui ne cesse de se dérober à elle-même autant qu’à eux. Il est le témoin du passage de l’art encore rassurant – et réjouissant pour les sens – des tableaux ou des sculptures, aux installations et autres performances. Il pressent déjà que ce barnum ne sera peut-être plus demain qu’un étrange marché aux fins indéterminées.

On ne naît pas réactionnaire, on le devient. Certaines époques se chargent ainsi d’occulter avec efficacité les grands esprits qui les gênent et qui les nient. Elles exilent les Socrate, bannissent les Sénèque, massacrent les Cassandre.  Elles veulent ainsi oublier que ces voix qu’aujourd’hui elles font taire furent celles des maîtres hier. Mais les élèves qui n’ont pas compris la leçon se croient toujours autorisés à tuer le professeur.

Jean Clair, lui, est la mauvaise conscience de l’art contemporain. Il a tout prédit, il y a quarante ans, comme le rappelle ce Temps des avant-gardes qui paraît ces jours-ci et où le vieux maître, maintenant académicien, a reclassé ses articles des années 1968 à 1978. L’art contemporain cherche à nier le regard de Jean Clair, qu’il ne saurait supporter car ce regard, qui aurait pu – et aurait dû – devenir le viatique de l’art d’aujourd’hui, en est condamnation sans appel.[access capability= »lire_inedits »]

Jean Clair n’aura cessé, en fait, de s’interroger sur lui-même – qui est-il dans ce jeu ? Un directeur de musée, un critique d’art, un historien de l’art, un expert, un homme de goût, un écrivain, un homme libre ? – en questionnant d’abord le monde de l’art sur lui-même. Faut-il des musées ? Que sont-ils alors ? Y a-t-il des artistes à l’heure de l’originalité infinie ? Peut-il y avoir encore une critique d’art ? L’art doit-il sortir des musées et rentrer dans les salons, comme il le dit ici : « Le XIXe siècle a vécu sur un mythe : que l’artiste soit à la rue et son œuvre au musée (une fois bien sûr l’artiste mort, d’avoir été trop longtemps à la rue sans doute). Il est temps maintenant que l’œuvre soit à la rue, et l’artiste logé au musée… » Et de nous apprendre qu’au XVIIe siècle, des artistes logeaient au Louvre.

Faut-il le rappeler aux entomologistes, Jean Clair n’est pas – et n’a jamais été – celui qui croyait que « c’était mieux avant ». Il est celui qui tente de penser l’humanité dans son ombre luminescente qui s’appelle l’art. Et qu’il ait, en son temps, défendu Buren ou Boltanski est significatif. C’est qu’il croyait alors qu’une ouverture était encore possible pour cet art qu’on commençait de nommer « contemporain ». Quarante ans après, il a fait le deuil de cette espérance, mais nul ne saurait lui reprocher d’avoir été l’un des artisans de cet échec.

Au contraire, sans lui, sans ses sempiternelles interrogations, ses constants élans, ses colériques ritournelles, il est à gager qu’il ne se fût vraiment rien passé de ce côté-ci de l’Atlantique.[/access]

Le Temps des avant-gardes, Chroniques d’art 1968-1978, par Jean Clair, éditions de la Différence, 2012.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste.

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