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Quel type, ce Jean Cau!

Philippe Bilger évoque le Prix Goncourt 1967


Quel type, ce Jean Cau!
Le journaliste et écrivain Jean Cau, 1985 © ANDERSEN ULF/SIPA

Longtemps secrétaire de Jean-Paul Sartre, Jean Cau (1925-1993) emprunte les sentiers de la liberté et devient un écrivain et polémiste très populaire à droite. Avant les autres, il avait bien vu venir et décrit le long déclin qui menaçait l’Occident.


Grâce à une biographie exceptionnelle de qualité (Jean Cau, l’indocile, qui vient de paraître chez Gallimard sous la plume de Ludovic Marino et Louis Michaud), je redécouvre un homme et une personnalité sans exemple. Avec son courage, sa liberté, ses propos, ses écrits et sa morale. Un talent immense. Né en 1925, il est mort le 18 juin 1993. J’étais âgé de cinquante ans. Retrouver aujourd’hui tout ce que cet être doué à tant d’égards a eu d’unique m’a saisi à l’esprit et au cœur. Un choc.

Un visionnaire, un esprit libre

À cause de cette certitude que pour la France, les dangers qui la menacent, le délabrement de ses institutions, sa décadence, le manque de courage de ses dirigeants, tous politiques confondus, et la morale dont elle aurait besoin, un Jean Cau serait plus que jamais nécessaire. Il a tout annoncé, il a tout vu et dit avant tout le monde. Rien de ce qui est tristement actuel ne lui a échappé.

Pour s’en convaincre, il suffit de le lire, de l’écouter, par exemple Radioscopie en 1975, et de s’imprégner de tout ce que la biographie précitée nous propose en abondance.

Écrivain, journaliste, polémiste, Jean Cau a eu un parcours trop riche, une destinée intellectuelle, médiatique et humaine trop dense et exemplaire pour qu’on puisse, dans un billet, prétendre les résumer. D’abord son incroyable liberté. Secrétaire de Jean-Paul Sartre de 1946 à 1957 et rédacteur aux Temps modernes, profondément et sincèrement de gauche, il a eu la force et la lucidité de se détacher de ce terreau longtemps fascinant pour devenir, à la suite d’une cohérente évolution, journaliste à l’Express, à France Observateur, au Figaro littéraire, enfin à Paris Match (celui de la grande époque où Cau a formé avec le directeur de rédaction Roger Thérond un duo indépassable). Une figure admirée et emblématique de la droite intellectuelle, dont l’extraordinaire liberté de ton et le formidable talent, ainsi que la justesse de ses critiques et dénonciations, ont marqué l’époque.

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Comme Jean Cau l’a lui-même précisé, sa trajectoire était étrangère à toute trahison – dans ses magnifiques Croquis de mémoire en 1985, il rend un bel hommage à Jean-Paul Sartre – mais relevait de la démarche d’un homme à la recherche de sa vérité, à la conquête de sa liberté. Avec le souci non seulement de soi mais la volonté de démasquer toutes les impostures des autres. Celle d’un Louis Aragon révélant, après la mort d’Elsa Triolet, sa nature profonde et projetant ainsi sur l’ensemble de ses convictions un parfum d’inauthenticité absolue. Celles, multiples, de tous ces gens de gauche ne connaissant rien du peuple, mus seulement par la peur, la honte d’être qualifiés de droite, par le désir de masquer leurs origines. Alors que Jean Cau n’est pas gangrené par la comédie d’aller vers le peuple puisqu’il en vient et qu’il l’aime. Jean Cau a connu un immense succès – il reçoit le prix Goncourt en 1961 pour son roman La Pitié de Dieu – même s’il a échoué à trois voix près pour sa tentative unique d’élection (poussé vivement par quelques amis) à l’Académie française. Mais les honneurs n’ont jamais été son fort.

Raffiné et populaire

Son discours essentiel a porté sur ce qui a pu être qualifié dans son œuvre de « cycle de la décadence » : une série d’ouvrages qui, de 1967 à 1978 (Discours de la décadence), ont brossé un tableau sombre, décapant, sarcastique, de « l’affaissement moral de l’Occident… un immense organisme qui se meurt et veut mourir ». Jean Cau, cependant, n’a pas l’humeur aigre et petitement chagrine. Il y a une vigoureuse énergie dans ses révoltes et il ne se contente pas de décrier ni de stigmatiser : il propose une morale sans jouer au moraliste et, dépassant le bien ou le mal, celle qu’il privilégie est « celle qui triomphe ». Il y a chez lui une politique de l’action. « Une morale de l’action avant sa justification… contre le verbiage qui tient lieu de sagesse… Tout évidemment est un problème lorsqu’on tremble devant la solution… il faut juger… dire sûrement oui ou non… ». Il pourfend les compréhensions systématiques qui ne sont qu’une manière de ne jamais rien accomplir et demande « qu’on réhabilite le jugement et la préférence ». À bien y réfléchir, sa vision constitue un réquisitoire accablant pour notre monde politique actuel qui tombe dans tous les pièges auxquels la crudité de la parole de Jean Cau voudrait nous faire échapper.

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Sa morale est faite de solitude (« ne te laisse pas intimider parce que tu es seul »), d’un éloignement de la foule, d’un culte de l’héroïsme, de la détestation de la grisaille et du rétrécissement d’existences seulement fondées sur le profit et la lâcheté (pour le « bourgeois », une catégorie qu’il exècre et qu’il oppose à la pureté et à la spontanéité de l’enfance, « il vaut mieux être un chien vivant qu’un lion mort »), de courage et de liberté. Jean Cau n’a jamais été un donneur de leçons : comme il le dénonce, il ne s’est pas contenté de « respirer la morale, il l’a vécue ». Tout au long de sa vie intellectuelle, médiatique et politique – le pamphlétaire éblouissant qu’il a été contre François Mitterrand, croqué si bien « avec la gravité à la fois solennelle et chafouine du comportement » ! -, il a subi des coups, il les a rendus avec quelle verve et quelle intelligence, il ne s’est jamais plaint.

Des piques époustouflantes

Il demeure pour beaucoup un modèle parce que, contre les imposteurs, il est resté fidèle à ses origines modestes, à ses parents du « peuple », à son exigence de vérité, à l’honnêteté qui l’a conduit à aller au bout de ses fulgurances, conservatrices ou provocatrices, peu lui importait. Avec un style splendide, sans gras ni enflure, grâce auquel il communiquait qui il était, ce qu’il pensait, ce qu’il sentait.

Au risque d’allonger trop ce billet, je ne peux me résoudre à laisser de côté des pépites qui, sur des thèmes divers, époustouflent.

François Mitterrand encore : « Tout en lui est d’un chrétien démodé du XIXe siècle ». Sur l’Occident : « …coexistent désormais une barbarie vidée de foi et un christianisme vidé de force ». Sur la construction européenne : « aseptisation des peuples… l’eurotechnobureaucratie… ». Sur son livre critiqué sur Che Guevara : « …alors parler d’un homme de gauche quand on n’en est pas un, c’est sacrilège car les figures de gauche sont des bustes ». Sur la peine de mort qu’il approuve : « …les avocats ne sont jamais aussi bavards que lorsqu’ils défendent des causes abominables ». Sur lui : « Je ne me situe nulle part… on me situe… suis en liberté ». Sur le quotidien Le Monde qu’il abomine comme ses lecteurs : « le bras armé de la morale bourgeoise et égalitariste… il veut toujours être moralement gardé sur sa gauche ». Sur les politiques et la société : « …la guerre commerciale reste la seule croisade concevable… Quand il n’y a plus de vrais maîtres, toute la société est esclave ». Sur le nazisme : « Il a terrorisé la morale non égalitaire ».

Quand Jean Cau est mort, Jean-Edern Hallier, son ami sans doute le plus proche avec Jean Dutourd et Roger Thérond, l’a décrit comme « raffiné et populaire » et, évoquant sa passion pour la tauromachie, il a ajouté : « il a eu les oreilles la queue dans toutes les corridas contre les imbéciles ».

Le 23 avril au soir, nous remettrons le prix des Hussards. Comme Jean Cau en était un, un vrai, un superbe, un authentique et comme j’aurais aimé le connaître !

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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