Notre chroniqueuse salue ici le travail d’un cinéaste promis selon elle à un grand avenir: Jean-Baptiste Durand. Son film « Chien de la Casse » (2023, Meilleur premier film aux derniers César) se présente comme la continuation de son travail de peintre par lequel il a commencé. Elle déplore par ailleurs, mais sans s’y attarder, qu’on ait réduit ce long métrage à une banale chronique de jeunes qui s’ennuient et fument des joints, alors qu’il relève du registre plus élevé de la tragédie.
Le 23 février dernier, lors de cette cérémonie des César qui fit couler tant d’encre, Raphaël Quenard remporta le César de la « meilleure révélation masculine », amplement mérité, pour Chien de la Casse de Jean-Baptiste Durand, sorti en avril 2023. Raphaël Quenard illumina ma soirée de sa grâce gouailleuse, et porteuse d’espoir. En effet, dans mon souvenir, aucun acteur récompensé n’a terminé son discours en prononçant « Vive la France ! » – ou alors, c’était il y a longtemps.
Le cinéma français est mort, vive le cinéma français !
Donc, comme une idée fixe, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’aille voir Chien de la Casse. J’étais assez mécontente de moi car, en étant passé à côté de ce film, au moment de sa sortie, j’avais manqué à tous mes devoirs de cinéphile. En effet, être à l’affût, curieuse des films français qui sortent, est mon credo, car on tombe souvent sur des pépites, n’en déplaise aux grincheux qui prétendent que le cinéma français est mourant, soumis au wokisme, ou usine à navets. Des navets, le cinéma français en a produit de tout temps, il est même de bon ton, aujourd’hui, de réhabiliter Les Sous Doués ou On se calme et on boit frais à St Tropez. Peut-être bien que le trop plein de nostalgie nous égare…
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble important de rappeler que notre pays a toujours produit son lot de cinéastes inclassables et géniaux, des électrons libres, apolitiques ; de Jean Vigo à Eustache, en passant par le trop méconnu Jacques Rozier. Et je ne crois pas me tromper, en affirmant que Jean-Baptiste Durand est déjà de cette trempe. Nous y reviendrons.
Grâce à la victoire de Raphaël Quenard, le film bénéficie d’une seconde vie, et cela n’est que justice, car il s’agit, à mon sens, d’un petit chef-d’œuvre, où se mêlent Pialat, Eustache et Kechiche, le tout filmé comme une sorte de roadmovie statique.
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Comme souvent, les médias mainstream ont réduit l’intrigue à sa portion congrue : des jeunes désœuvrés dans un petit village de l’Hérault se regroupent autour d’une fontaine pour fumer du cannabis. En réalité, ils passent complètement à côté de ce film, si riche et dans sa forme et dans son fond. La performance des acteurs a en revanche été saluée, en particulier celle de Quenard, qui joue Mirales, un personnage truculent, à l’éloquence remarquable, cultivé (il ne cesse de citer Montaigne), un pudique extraverti, davantage une figure de proue, un électron libre qu’un chef de bande.
Autre chose m’a frappée : ces jeunes ne sont pas de ceux que l’on pourrait qualifier de « cassos. » Ils ont des rêves, pour la plupart ont fait des études, mais ne sont pas à leur place. D’ailleurs Mirales affirme que cet endroit finira par le tuer.
Il existe un très bon making of du film, comme une exégèse qui nous permet de mieux comprendre le travail du réalisateur, lequel n’a rien laissé au hasard ; en effet le film est pensé, construit, comme une œuvre d’art à part entière.
Quand une fille s’en mêle…
Jean-Baptiste Durand était élève aux Beaux-Arts de Montpellier. Très vite, il s’est mis à peindre des toiles hyper réalistes, représentant ses potes, assis sur les bancs de la place de ce village charmant mais inerte. Pour lui, le film est la continuité de ce travail. De fait, tous les plans sont picturaux, léchés, jusqu’aux vêtements des personnages principaux qui obéissent à des codes couleurs. Cependant, cette maestria ne se voit pas et heureusement. Durand est de ces réalisateurs virtuoses qui ne se regardent pas filmer. Tout est naturel, tout coule de source. Il a d’ailleurs déclaré avoir eu un rapport physique au tournage, la sensation plastique de vouloir toucher la matière, comme le peintre qu’il fut.
La musique joue également un rôle clé dans le film. Elle a été composée par Delphine Malaussena. Le morceau principal forme une boucle lancinante, faite de percussions discrètes et parfois de violons incitant au lyrisme. Durand affirme avoir utilisé cette mélodie récurrente pour « déplacer le réel ». Car le film s’appuie bien évidemment sur le réel, réel qui ne sert finalement que de décor à l’histoire qui est celle d’une triangulation de deux amis qui deviennent ennemis à cause d’une fille qui s’immisce dans leur duo. Une histoire éternelle au fond, qui évoque les grandes tragédies de Shakespeare ou de Racine, ou les teen movies américains des années 50.
Quant au titre – qui intrigue- il joue également un rôle essentiel. Polysémique, l’expression « chien de la casse » désigne des personnes peu recommandables, des voyous sans envergure. Mais surtout, ce titre encapsule les relations des deux personnages principaux : Mirales et… Dog, dans une relation dominant-dominé, qui s’inversera comme dans toutes les bonnes histoires. Mirales possède également un chien qui répond au nom de Malabaret et joue un rôle crucial… Enfin, Mirales comprendra que si la vie est une chienne, il faut la tenir en laisse.
Le film est déjà visible en VOD – CANAL PLAY.
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