L’éditorial de mai d’Elisabeth Lévy
On peine à imaginer ce que serait l’épopée humaine s’il n’y avait pas des gens fêlés, des esprits tourmentés, des âmes égarées. Sans cette humanité claudiquante, personne n’aurait jamais écrit un roman ou tourné un film – ni, sans doute, fait la guerre. Achille était certainement bipolaire, dépressif, autiste ou schizophrène. L’Histoire n’a pas été écrite par des gens raisonnables et équilibrés, mais par une sacrée collection de cinglés en tout genre. Pour le dire vulgairement, sans les fous on s’emmerderait ferme. Il paraît que « fou » et « cinglé », c’est stigmatisant, mais ce qui l’est encore plus, c’est de prendre des pincettes, comme s’ils étaient incapables de supporter la moquerie ou le langage commun, qui peut être cruel même quand il est innocent. Le prix de l’appartenance à la communauté humaine, c’est d’accepter qu’on se paye votre tête.
Malade mental, c’est ainsi que Nicolas Demorand se définit dans Intérieur nuit, le livre où il raconte l’enfer du trouble bipolaire. Loin de moi l’idée de minimiser sa souffrance dont il tire d’ailleurs un bel objet littéraire. D’origine souvent mystérieuse, la souffrance psychique agit comme un acide qui ronge l’intériorité. Je me garderai donc
