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Je suis seul sans toi

Une page qui se tourne pour Serge...


Je suis seul sans toi
Serge Lama au Festival Des Livres des Stars, Marseille / MONCEAU/PEREZ/SIPA

Parce qu’il souffre physiquement, Serge Lama a décidé de mettre fin à sa carrière. Pourquoi faut-il donc l’écouter encore et encore ?


Bien sûr, on peut sourire de son épopée Napoléonienne, de ce bouc à la mousquetaire, de cette variétoche qui traîne sa roulotte sur les chemins de France depuis Pompidou Premier ministre ou de cette télé des années 1970 à paillettes et fossettes qui l’exclura des cénacles autorisés. Notre époque n’aime que salir, avilir, ignorer ou disqualifier les ondes nostalgiques, par peur d’y succomber. Elle se méfie des engouements populaires et des engagements sincères. Elle ne reconnaît que l’esquive et la fatuité. Elle se vautre alors dans une fausse modernité et se pâme sous la clameur indécente des hourras virtuels. Aujourd’hui, une telle carrière serait impossible, parce qu’elle émeut, parce qu’elle résonne en nous avec une force qui nous inquiète, parce qu’elle n’a pas été formatée et fomentée dans un but industriel. Lama n’est pas un coup monté par une maison de disque, l’objet d’un accord commercial ou l’effet d’une bulle spéculative. Depuis soixante ans, presque chaque soir, le public reçoit de l’artiste, son offrande dans une forme de promiscuité et de chaleur fraternelle qui n’est pas feinte et ne racole pas. L’exercice est pour le moins délicat.

Serge Lama l’authentique

Nous avons l’habitude de voir sur scène des mécaniques déshumanisées et un peu vaines, des prestations à la régularité pompeuse. Des chanteurs pingres et secs qui usinent, qui occupent l’espace sans y croire, qui chantent pour passer le temps, ce qui désolait l’intransigeant Ferrat. Lama chante à cœur ouvert, sans filet, avec l’ardeur des possédés, pour résister à la nuit vorace, pour tempérer son vague-à-l’âme, pour ne pas oublier, pour ne pas sombrer, pour ne pas s’endormir par crainte de ne jamais pouvoir se réveiller.

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Chez ce garçon blessé dans sa chair, inguérissable d’une enfance en pointillé, à la fragilité toujours béante, à la mémoire bousillée, on bataille, on sombre et on se redresse par orgueil ; la tristesse en cataplasme, on se livre avec une impudeur qui fascine et éblouit. Lama est un confident, un frère d’infortune comme son ami, l’écrivain Yves Charnet, des compagnons de route cabossés par la vie qui retiennent leurs larmes, qui hurlent à la mort dans leur costume de lumières. Leur nudité n’en est que plus apparente.

A ton âge, il faut s’en aller

Ces toreros cherchent un impossible salut dans la pratique quotidienne et douloureuse de leur art. Chez eux, les lamentations ont un parfum d’éternité, ils ne déversent pas leur trop-plein de sentiments, au contraire, au fil des années, leurs mots deviennent le refuge merveilleux de nos errements communs. Même si pour y parvenir, ils vont puiser dans leur histoire personnelle, les ferments des douleurs enfouies. Les mots de Lama, grivois et écorchés, friables et nécessaires, lancés dans un gala à Montluçon ou Serre-Ponçon viennent se nicher dans nos plus secrets replis. Quand son public rentre chez lui après un tour de chant prodigieux et simple, deux mots qui vont si bien ensemble, il sait qu’il n’a pas seulement assisté à un divertissement de haute qualité mais qu’il a été percuté dans son intimité. C’est le propre des immenses chanteurs de toucher cette corde sensible. Toute la détresse et l’amertume du monde, les amours tempétueuses, les ruptures assassines jaillissent sous une musique entraînante, comme pour mieux en ressentir le fracas. Tout ce romantisme canaille, cette bourrasque désespérée, ces appels dans le noir, ces corps endoloris au petit matin ne sont plus des images grossières jetées à la figure de la foule. Elles se mettent à marcher en mouvement devant nos yeux. Sur les murs de l’Olympia, il y avait des glycines, je les ai vues, Lama les dessinait de sa voix couleur vermeille, d’un rouge sanguinaire. Ce soir-là, il perpétuait le Paris de Trenet et de Chevalier, il donnait à la chanson française son fragile éclat et son ressac entêtant.

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Même s’il est malade, complètement malade et qu’il renonce à sa carrière par respect pour son public. On sera aux rendez-vous de son prochain et dernier album qui sortira le 7 octobre. Parce que le timbre et les textes de Lama, ses failles et ses doutes, auront toujours quelque chose à nous dire des existences en suspension.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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