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Je servirai M. Bardella

Mais aussi MM. Glucksmann, Attal, Mélenchon…


Je servirai M. Bardella
Jordan Bardella à Paris, hier © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

La vague bleue, redoutée par le camp progressiste, attendue dans la France entière à l’exception de Paris, a donc déferlé au premier tour. Souvent, le devoir de réserve des fonctionnaires n’aura pas été respecté. Les pétitions, rappels à l’ordre, sommation à bien voter n’ont servi à rien.


Chez les hauts fonctionnaires, cela fait un moment que l’on se gratte le cerveau sur l’attitude à adopter face à un gouvernement RN. La revue Acteurs publics nous apprenait à la mi-juin que les jeunes pousses étudiantes de l’Institut national du service public (INSP, ex-ENA) étaient confrontées à un terrible cas de conscience. Devraient-ils se mettre en retrait de la République dès leur sortie de l’école, se réfugier dans une administration non exposée au programme du RN et refuser, par exemple, de servir au ministère de l’Intérieur afin de ne pas avoir à mettre en œuvre « les mesures sécuritaires du RN » ?

Toutefois, ces affres n’affectent que leur hémisphère droit. Le programme du Nouveau Front Populaire, lui, ne les inquiète pas : « Certains élèves tiennent toutefois à préciser que les inquiétudes qui traversent actuellement la haute fonction publique concernent le seul programme politique du RN et non celui du Nouveau Front populaire », précise Bastien Scordia, l’auteur de l’article. Nous voilà rassurés. Ces futurs agents de l’État ont déjà intégré au plus profond de leur cortex le logiciel mitterrandien, vieux de plus de 40 ans, du cordon sanitaire contre la bêbête immonde. Des esprits libres, ces petits jeunes.

À ces fonctionnaires en herbe qui s’interrogent sur le sens de leur devoir, et à tous ceux de leurs aînés qui vont appeler à la résistance passive ou active dans les prochains jours, je voudrais rappeler quelques données élémentaires.

Servir un gouvernement que l’on n’aime pas : le quotidien du fonctionnaire

Seuls les supporters d’un régime totalitaire ont une chance de servir toute leur vie un gouvernement auquel ils adhèrent entièrement. Mais comme nous sommes en démocratie et, a priori, tous démocrates, les agents de l’État français sont condamnés à connaître l’inverse. Et pas seulement pendant 15 jours.

De 1958 à 1981, les fonctionnaires de gauche ont attendu 23 ans avant d’accueillir François Mitterrand à la tête de la Vᵉ République. Leurs collègues de droite ont dû endurer 14 années de règne de « Tonton » Mitterrand avant de voir Jacques Chirac arriver à son tour au pouvoir. Tous sont restés à leur poste. J’en ai fait de même durant toute ma carrière, moi qui ai passé mon temps à voter pour des listes qui dépassaient rarement les 5%. À chacun son problème, mais dans son for intérieur si cela ne vous dérange pas.

« Oui, mais le RN c’est différent… » Vous connaissez la suite, inutile de vous faire le sketch entier. Les esprits formatés par des années de matraquage médiatique devraient essayer d’imaginer l’effroi des fonctionnaires de l’État lors de la nomination de ministres communistes au gouvernement en 1981. L’Union soviétique pointait ses missiles vers la France mais le PCF soutenait le régime de Moscou sans état d’âme. L’Union de la gauche décidait dans la foulée de privatiser les banques et les grandes entreprises. Excusez du peu. C’était autre chose que les mesurettes prudentes du RN d’aujourd’hui. Pourtant, malgré ce tremblement de terre tous les agents de l’État sont restés à leur poste en 1981. Ils ont cherché à « faire de leur mieux » avec les ministres et les politiques que François Mitterrand leur donnait. Aucun n’a appelé à la résistance et encore moins au sabotage. Et la France a poursuivi son chemin.

Le service du peuple et rien d’autre

Moi-même, j’ai plus d’une fois serré les dents et mis un mouchoir sur mon opinion personnelle afin de défendre une ligne politique au rebours de ce que je croyais bon pour le pays. Je l’ai fait sans faillir pour une raison implacable : cette ligne politique émanait d’un gouvernement élu démocratiquement par le peuple français.

Car il est une évidence qu’il faut régulièrement rappeler. Pour qui travaillent les fonctionnaires ? Pas pour leur pomme, ni pour défendre une ligne politique. Les fonctionnaires ont pour mission de mettre en œuvre de manière efficace et intelligible les choix politiques du gouvernement issu du choix du peuple français. Refuser de servir ou, pire, appeler à la résistance, c’est refuser le choix du peuple et, par conséquent, refuser la démocratie. Nos jeunes turcs de l’INSR seraient-ils en réalité la menace contre la démocratie qu’ils croient déceler au RN ? Une petite introspection de ces esprits trop bridés serait salutaire.

Assister un gouvernement de néophytes : un rôle stratégique

Un gouvernement RN sera inévitablement un gouvernement de « bleus » avec une expérience limitée de l’exercice du pouvoir. Le rôle des hauts fonctionnaires n’en sera que plus important et plus gratifiant.

Des mesures dans le programme du RN pourraient conduire la France dans le mur ? Votre devoir sera d’agir pour éviter la sortie de route. Souligner la complexité des sujets, proposer des compromis intelligents, c’est ce que l’on attend des grands fonctionnaires. Ce sera l’heure des vrais serviteurs de l’État, des mandarins éclairés. Mais pour cela, il faudra être solidement à son poste et non en train de manifester de Bastille à Montparnasse contre le fascisme au pouvoir.

Si le RN arrive à Matignon, les Français auront besoin de vous. Non pour saboter la politique qu’ils appellent de leurs vœux, mais pour la mettre en œuvre de manière cohérente, utile et, naturellement, dans le respect du droit. Ce n’est donc pas le moment de se tromper de posture et d’époque.

Le conformisme affligeant des nouvelles pousses

Ce qui est le plus triste dans les propos des apprentis hauts fonctionnaires de l’INSR, c’est le conformisme de leur pensée. Que ces bêtes à concours censés doté d’un sens critique et d’une capacité d’analyse acquis au cours de leurs études, refusent de voir ce que tous les Français ont constaté depuis belle lurette – à savoir que le RN de Marine Le Pen/Jordan Bardella n’était plus le FN de Jean-Marie Le Pen – est consternant.  Qu’ils se croient obligés de répéter le discours rituel sur la montée des extrêmes, pardon de l’extrême, montre que le conformisme et la couardise s’épanouissent remarquablement bien dans la jeunesse. Absence de lucidité, refus du réel ou manque de courage, dans tous les cas, rien de glorieux pour ces futurs agents de l’État.

Tout aussi triste, la paralysie du côté gauche de leur sens critique qui les empêche de porter un regard objectif sur le programme du NFP. Il se sentent obligés de faire un distinguo entre le programme de droite, forcément un torchon de cuisine, et celui de gauche qui, quelles que soient les dingueries qu’il contient, est élevé au rang de serviette et accepté à table.

Mais rassurons-nous. Les esprits grégaires, conformistes ou pleutres ont un avantage. Ils ont la colonne vertébrale d’un mollusque. Il ne leur faudra pas longtemps pour actualiser leur discours quand ils comprendront qu’ils ne risquent rien à dire ce que tout le monde voit sur le RN, le NFP ou sur le Président lui-même. Et la France poursuivra son chemin.



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