N’y aurait-il que les juifs pour s’émouvoir encore du souvenir du 7-Octobre ? Un an après, l’émotion bruyante a laissé place à l’indifférence. Témoignage d’un Français « normal ».
Français normal, comme dirait Coluche, j’ai un prêt immobilier qui n’en finit plus, un couple qui n’en finit plus non plus, et des émotions fortes par moments. Lorsque mes enfants rentrent en primaire dans un nouvel établissement, j’ai une émotion forte personnelle. Lorsque des terroristes massacrent au Bataclan un 13 novembre j’ai une émotion forte collective. Ces émotions n’en finissent plus, et c’est bien normal.
Et puis vint le 7-Octobre. Le massacre de familles entières dans des kibboutz israéliens. Une émotion collective par nature, on allait se coaliser pour éradiquer le Hamas et c’est bien normal. Enfin, ça, c’était jusqu’au 8 octobre au matin. Après, disons à partir de l’heure du déjeuner, les meurtres et viols barbares du Hamas étaient devenus une émotion personnelle. À la limite, je pouvais la partager avec Alex, mon meilleur ami juif séfarade, qui passe ses vacances à Tel-Aviv. Mais au-delà, on commençait déjà à se demander pourquoi vivre avec des affiches d’otages sur les murs de nos villes. On n’allait tout de même pas revoir tout l’aménagement urbain à chaque crime de guerre.
Et c’est ainsi que la rentrée scolaire de mes enfants fut définitivement jugée plus émouvante pour la collectivité. En tous cas, la photo d’Anouk, 8 ans, et de Vadim, 6 ans, de dos avec leur cartable, me valut plus de likes que la capture d’écran I Stand with Israel. Et beaucoup moins de soucis aussi. Alors que, promis, les enfants et l’école, ce sont des soucis.
On ne reprocha pas non plus à Anouk et Vadim d’être responsables du chauffard qui manqua de les percuter sur un passage piéton, sous prétexte que cela fait bien longtemps qu’ils prennent toute la place avec leurs trottinettes. Ce qui leur fait une autre différence avec les victimes du 7-Octobre.
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À partir de là, je suis resté un Français normal. J’ai fait barrage à la haine dès que j’ai pu, j’ai soufflé en découvrant une assemblée nationale éparpillée façon puzzle, sans majorité pour le RN, j’ai ricané avec mes camarades résistantsde l’air penaud de Bardella, j’ai partagé le mojito de la victoire en terrasse au Café Francoeur, 129, rue Caulaincourt Paris 18e. La haine avait reflué, j’étais serein, j’avais fait le taf. Et puis, Alex, mon ami de parti pris, juif, Tel-Aviv tout ça, bref briseur de kiff, me renvoya un best of vidéo des déclarations de députés LFI fraîchement réélus. David Guiraud, « Les bébés dans le four c’est Israël » ; « L’entité sioniste » de Sébastien Delogu ou encore les rires d’Ersilia Soudais à l’évocation du 7-Octobre.
Le troisième mojito aidant, je tentai de le raisonner sans prendre de gants. Je trouvai même des parallèles imparables : tout comme Sébastien Delogu ne se souvient plus très bien de qui est Pétain, n’était-il pas temps d’oublier un peu le 7-Octobre ?
Mais Alex ne l’entendait pas ainsi. Alex n’est pas un mec normal. Alex est juif. Et moi je ne suis pas juif, mais.
Mais je n’ai plus envie de faire la fête.
Et le jour où j’aurai à serrer mes enfants dans les bras, je le ferai comme Shiri Bibas. De tout mon être, je ne lâcherai pas Ariel, 4 ans, et Kfir, 10 mois. Et je ne comprendrai pas bien qu’on boive des mojitos sans plus jamais penser à nous.
* Louis Lanher est romancier et producteur de documentaires. Il n’est toujours pas juif.