Art, acteurs, scandales, Metoo, Christophe Rocancourt. La réalisatrice Catherine Breillat, devenue hémiplégique, se confie dans un livre d’entretiens tout à fait réjouissant.
Dans la foulée de la sortie en salles de L’été dernier, ce pur joyau de Catherine Breillat (dont Jean Chauvet célébrait si justement, dans le dernier numéro de Causeur, « l’intranquillité » rageuse et iconoclaste), la Cinémathèque française vient, à raison, de rendre hommage à l’arpenteuse des « tréfonds de l’âme humaine » – pour reprendre l’expression de mon confrère. Avec, en présence de la cinéaste, une rétrospective intégrale de sa filmographie, téléfilms inclus : depuis Une vraie jeune fille (1975), Tapage nocturne (1979) ou 36 fillettes (1987), jusqu’à La belle endormie (2010), en passant par Sale comme un ange (1991), Parfait amour (1996), Romance (1999), A ma sœur (2000), Brève traversée (2001), Sex is Comedy (2002), Anatomie de l’enfer (2004), Une vieille maîtresse (2007), Barbe bleue (2009)… Et bien sûr, L’Eté dernier, réalisé dix ans après Abus de faiblesse (2012), cet autoportrait grinçant inspiré de sa liaison avec le séducteur escroc Christophe Rocancourt, alors que, victime d’un AVC, elle était frappée d’hémiplégie.
Dialogue captivant
Il n’y a pas de scories dans le cinéma de Catherine Breillat. Le mot de Gustave Flaubert, « Madame Bovary, c’est moi ! », pourrait, à la lettre, s’appliquer à chacun de ses titres : Catherine Breillat n’est-elle pas tout à la fois une fillette, une romantique, une sœur, une anatomie, un enfer, un ange, une vieille maîtresse, un parfait amour, une belle endormie – et un été radieux ?
A lire aussi, Sophie Bachat: Marion Messina, c’est mieux que Houellebecq!
Coïncidant avec la sortie en salles de L’été dernier à la mi-septembre, le livre d’entretiens qui paraît aux éditions Capricci l’atteste encore, merveilleusement intitulé : Je ne crois qu’en moi. Entre septembre 2022 et mars 2023, Catherine Breillat, alors en plein montage de son dernier long métrage, s’est confiée à Murielle Jourdet, critique et auteur de plusieurs essais (sur Isabelle Huppert, sur Gena Rowlands, etc.). Dialogue captivant. De ces échanges, il se dégage une rage de vivre presque adolescente chez cette femme âgée de 75 ans et physiquement infirme. Quelque chose d’implacable dans la formulation, une gourmandise, aussi, pour l’art sous toutes ses formes, une passion dévorante pour son métier. Comme dans ses films, l’expression de cet intempérant besoin d’assumer, à travers l’image mais aussi l’écriture, tout ce qui saigne et transpire chez l’être humain, passe sans filtre aucun dans la parole de Catherine Breillat : Catherine Breillat ne pose jamais.
Morceaux choisis :
Sur L’été dernier : « Je ne voulais pas d’une prédatrice. Mais d’une femme piégée par l’amour d’un adolescent ».
Sur son enfance : « On m’a éduquée dans un bain de boue, ou de merde ».
Sur l’art : « L’Art est sacré, ça échappe à la morale ». « Bergman est mon maître. Avec Lautréamont ». « Point commun : l’absolue violence, le désespoir de détruire, l’absolu du romantisme » (…) « plus il y a de torture, plus j’aime. Je suis archi violente dans l’imaginaire (…) Les mots ni les images ne font de mal à personne » (…) « Je ne veux pas être Marie Laurencin. Je veux être Francis Bacon ». « Les grands peintres me sauvent toujours. »
Sur le 7ème art : « Je réagence, je n’invente rien ». « Faire un film c’est entrer au Carmel. C’est une cérémonie sacrée et sacrificielle ». « Claude Sautet, c’est ça le ‘’ cinéma moquette’’ ». « À l’époque on croyait au cinéma, aujourd’hui on croit au box office ». « Oui, le cinéma est carnivore et anthropophage ». « Mes films se situent entre la borne et la limite ».
Sur les acteurs : « C’est du matériel, les acteurs, il faut voir les choses comme elles sont. » « Les acteurs (…) sont enveloppés par la nasse de mon regard, comme si je tenais un filet. Ils doivent être moi, commencer à me ressembler ». « Les actrices françaises jouent, or je veux qu’elles soient ». « Je ne dirige pas les acteurs, je les envoûte, et vice versa ». « [Les acteurs] oublient la substance de leur métier, ils veulent d’abord être des vedettes ».
Sur les figurants de cinéma : « Ils coûtent très cher et puis au fond je les déteste. Puisque je ne sais pas les diriger, je les déteste. C’est bien plus beau sans eux ».
Sur Christophe Rocancourt : « C’est une ordure et même si je suis la victime je n’ai pas envie d’être victimisée ».
Sur son hémiplégie : « Tous les malheurs m’arrivent mais je peux les supporter. Je marche comme Robocop mais mes films ne sont pas infirmes. Je préfère être infirme plutôt que mes films le soient ».
Sur Isabelle Huppert : « Elle m’a dit ‘’non, t’es pire‘’ » [que le cinéaste Maurice Pialat sur un tournage].
Sur les costumes : « Je m’y connais. J’achète tout. J’aime passionnément les tissus, depuis toujours ».
Sur # Mee Too : « Moi je ne dis pas la même chose du mouvement. Je vois le retour de bâton. La mise en place d’un ordre moral sans merci. C’est un cauchemar. Les filles vont redevenir ce que j’ai été plus jeune : marquée au fer rouge dès qu’on leur fait une remarque déplacée (…) Ce puritanisme mortifère est je crains qu’il ne devienne la norme. »
Sur le vote : « Voter pour quelqu’un parce que c’est une femme, jamais. Je veux pouvoir être contre une femme ».
Sur la maternité : « Je veux que les enfants détruisent le couple (…) Être mère c’est un fait matériel, pas moral ».
Sur le viol : « Il ne faut pas confondre le viol (qui est un crime) et un trop vague consentement dont on a honte. » « J’adore la beauté assassinée ou violée. »
Sur le laid : « Moi j’aime le laid, je ne veux pas crever de pudeur. Le déballage du laid je trouve ça très beau. Ou peut-être très grand ».
Sur le scandale : « Au fond je ne me rends jamais compte que je transgresse, j’ai une innocence du scandale ».
Sur sa lucidité : « Je suis folle. Je le sais ».
Il y en a 232 pages comme ça. Enfin une saine lecture. Pour adultes consentants.
Je ne crois qu’en moi. Entretiens de Catherine Breillat avec Murielle Jourdet. Editions Capricci. En librairies.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !