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Je me souviens de Mitterrand…

Une brève et pénible rencontre


Je me souviens de Mitterrand…
François Mitterrand lors d'une conférence de presse, 1990 © BOCCON-GIBOD/SIPA Numéro de reportage : 00196206_000001

À l’occasion des 40 ans de l’élection de François Mitterrand, Benoît Rayski nous raconte son entrevue avec l’ancien président, au début des années 90. Rencontre qui ne s’est jamais réitérée !


Max Gallo, romancier de gauche à succès, dirigeait le Matin de Paris où je m’occupais de politique étrangère. Il avait été nommé là par Mitterrand : c’était un homme de confiance car ancien porte-parole du gouvernement. Avec un grand sourire un peu moqueur, il vint me trouver : « Benoît, le président veut vous voir ». « Ah, et pourquoi donc ? » « Il reçoit des journalistes pour leur expliquer ses nouvelles idées sur le traité Start 1 ».

Je savais qu’il s’agissait d’un accord négocié entre les États-Unis et l’URSS pour réduire le nombre de missiles stratégiques à ogives nucléaires. Mais c’est tout ce que je savais. Mes connaissances dans ce domaine s’arrêtaient à un film : Docteur Folamour de Stanley Kubrick. D’une voie suppliante, je tentais d’échapper au supplice qui m’était annoncé : « mais Max, je ne comprends rien à ces histoires de fusée. » « Moi non plus, mais vous c’est votre boulot ! ». Il me fallut donc me rendre à l’Élysée avec des crampes à l’estomac.

Mitterrand m’accueillit avec une phrase dont la condescendance frôlait le mépris : « Monsieur Rayski, vous n’avez pas toujours été de notre bord ». Effectivement, avant le Matin de Paris, j’avais travaillé à France Soir, plutôt dévoué à Giscard.

Mitterrand se lança dans un long et savant discours sur les missiles et les ogives nucléaires. Je compris, plus ou moins confusément, que le traité Start 1 était à ses yeux non satisfaisant car il ne mettait pas la France à l’abri des missiles soviétiques à moyenne portée. Mitterrand avait en tête un nouveau projet de traité pour mettre fin à cette anomalie. Moi, j’avais depuis longtemps décroché.

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Je me permis de l’interrompre : « Oui, j’ai lu tout ça dans un article de Jacques Amalric du Monde que vous avez dû recevoir ». Le Matin de Paris étant à sa botte, il semblait naturel que Mitterrand voie un de ses employés, des larbins à ses yeux, après un journaliste aussi prestigieux que le chef du service étranger du Monde.

Le regard de Mitterrand se figea. Un masque mortuaire. Il n’avait pas du tout apprécié ma remarque. Il décrocha un de ses téléphones. « Jacques (il s’agissait d’Attali), avons-nous reçu Amalric ? ». Il raccrocha : « Non, monsieur Rayski, vous vous trompez comme souvent ». Il se leva pour me faire comprendre que l’entretien était terminé.

Au journal, Gallo me demanda comment cela s’était passé. « J’ai écouté et je n’ai rien compris ». « Ah, et vous faites bien un papier pour demain ? » « Non, Max car pour cela il faudrait que je recopie l’article du Monde et recopier, pour des raisons de principe, je ne le fais jamais ».

Gallo m’avait à la bonne. Il laissa courir. Pour ma part, je ne fus plus jamais reçu par Mitterrand. Ainsi fonctionnent les grands de ce monde pour faire sentir aux gens de peu qu’ils ne sont pas grand-chose…




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est journaliste et essayiste

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