En évacuant les toxicomanes des Jardins d’Eole (18e arrondissement de Paris) au début de l’été, Anne Hidalgo a voulu invisibiliser un fiasco trop visible de sa politique. Mais les riverains demeurent en proie à une toxicomanie de rue inédite et éparse. Pierre Liscia fait le point.
Éole. Quel joli nom que celui d’Éole ! Un mot doux à l’oreille, qui fleure bon le grand air et qui évoque la légèreté de la feuille qui se laisse porter par le vent, papillonnante et tourbillonnante. Éole, c’est une promesse de sérénité, de quiétude et de liberté. Les jardins d’Éole, c’était ça : la promesse d’un grand parc pour les habitants du nord-est parisien qui aurait redonné une bouffée d’oxygène à un quartier enclavé, surdensifié et bétonnisé. Pourtant, ces derniers mois, Éole est devenu le symbole d’un cauchemar urbain au quotidien. Ce qu’Éole avait de doux s’est mue en une réalité dure et brutale. La bouffée d’oxygène est devenue suffocante. Quant à la promesse de liberté, elle s’est éteinte, asphyxiée sous une chape de crack.
Nul besoin de rappeler l’odieuse réalité de notre quotidien tant l’actualité des derniers mois a rapporté chaque jour son lot de témoignages épouvantables, d’agressions insupportables, de viols et un meurtre ignoble qui a suscité un vif émoi dans tout le quartier. Gare du Nord, porte de la Chapelle, porte d’Aubervilliers, Rosa Parks, Stalingrad, Éole… À chaque fois, les mêmes dénominateurs communs : la toxicomanie, le crack, l’insécurité. Derrière ces mots, des vies brisées par la drogue, des riverains abandonnés, des enfants terrorisés. Et des élus locaux aux abonnés absents, quand ils ne sont pas tout simplement méprisants.
L’indifférence d’Anne Hidalgo
Comment en est-on arrivé là ? Comment a-t-on pu laisser sombrer tant de quartiers de la Ville lumière dans les profondeurs de l’indignité, à la limite de l’inhumanité ? Comment la Maire de Paris – candidate putative à l’élection présidentielle – peut-elle être si indifférente à la détresse de ses propres administrés ? Comment la capitale de la cinquième puissance mondiale y a-t-elle perdu sa splendeur, son panache – et disons-le clairement – son âme, alors que cette triple catastrophe humanitaire, sanitaire et sécuritaire était largement prévisible, et donc évitable ?
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Non seulement les pouvoirs publics ne se sont jamais donnés les moyens d’enrayer cette spirale mortifère du crack et de la toxicomanie de rue, mais pire, ils l’ont alimenté par leur inaction, leur attentisme, leurs improvisations permanentes et leur cynisme, avec au premier chef, la Ville de Paris.
Gesticulations politiques
Depuis trois ans, la crise du crack est la toile de fond d’une bataille politique et idéologique entre la Maire de Paris et le gouvernement, dont les figurants – ou plutôt devrais-je dire les premières victimes – sont les habitants oubliés du nord-est parisien. Pour eux, l’enjeu n’a jamais été d’apporter des solutions rapides et efficaces contre le crack ni de répondre aux attentes légitimes des riverains mais bien de s’engager dans des querelles aussi stériles qu’affligeantes : on s’emploie donc à se rejeter la responsabilité de ses propres échecs ; on se surpasse dans l’art de la joute, à la recherche de la formule qui fera mouche ; on en profite pour tenter de rassembler la gauche et l’extrême-gauche défenseuse des salles de shoot ou au contraire pour bomber le torse et rassurer son aile droite à grands renforts de gesticulations médiatiques et de discours martiaux qui ne seront jamais suivis d’effets.
Et nous dans tout ça ? Rien. Ou plutôt si : pire ! Depuis les démantèlements successifs de la « colline du crack » à la porte de la Chapelle, les toxicomanes n’ont jamais cessés d’être déplacés de quartiers en quartiers, sans jamais qu’il ne leur soit proposé une solution durable et pérenne pour les sortir de la rue et les insérer dans un parcours de sevrage et de réinsertion sociale – une solution que nous proposons avec force depuis 2018 avec Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France – pourtant la seule issue pour enfin sortir de l’ornière. Au lieu de ça, l’État évacue, encore et toujours, sachant pertinemment que sans structure de désintoxication avec prises en charge sanitaire et psychiatrique, les consommateurs n’ont aucune autre perspective que de se réinstaller quelques centaines de mètres plus loin, à la merci des dealers, des réseaux de prostitution et de traite d’êtres humains.
Le cocktail imbuvable de la Mairie
Cette crise du crack, c’est aussi une succession d’erreurs sciemment commises par la Maire de Paris, par excès d’orgueil et égo démesuré. La première est d’avoir précipité l’ouverture d’un centre d’accueil pour migrants à la porte de la Chapelle sans aucune concertation avec le gouvernement, et cela dans un quartier déjà très largement sinistré et surtout à quelques mètres à peine de la colline du crack qui préexistait déjà. Comment ne pas voir que la surconcentration de populations migrantes en situation d’extrême précarité sociale et de grande fragilité physique et psychique en proximité immédiate des toxicomanes et de leurs dealers était un cocktail dangereux qui allait dramatiquement aggraver la situation ? Alors qu’ils n’étaient que quelques dizaines de toxicomanes à la porte de la Chapelle en 2017, ils sont aujourd’hui plus d’un millier en errance dans le nord-est de Paris. Ceux qui se navrent aujourd’hui de voir les migrants plonger dans la toxicomanie sont les mêmes qui défendaient l’ouverture d’un centre d’accueil pour migrants au pied de la colline du crack.
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La seconde erreur est de s’être entêtée à vouloir appréhender la question de la toxicomanie sous le prisme de la victimisation des consommateurs qui nécessiteraient d’être accompagnés dans leur addition plutôt que de les considérer pour ce qu’ils sont, à savoir des malades qui sont un danger pour eux-mêmes et pour autrui et qui nécessitent par conséquent d’être soignés. Aussi Anne Hidalgo s’est-elle longtemps gargarisé de son « plan crack » de 10 millions d’euros qui n’a servi qu’à créer des points de fixation de la consommation et du deal dans le nord-est et à accompagner dans leur dépendance les « usagers de drogues » comme il est désormais convenu de désigner les toxicomanes selon le jargon adopté par l’Hôtel de Ville, comme si la consommation de crack avait rang de service public. « Le plan crack est un fiasco ? Qu’à cela ne tienne ! Ouvrons donc des salles de shoot ! » s’exclame en chœur l’intelligentsia socialiste parisienne, faisant fi de l’expérience de la salle déjà ouverte depuis 2016 près de la Gare du Nord : explosion de la toxicomanie de rue dans le quartier au grand désespoir des riverains qui vivent au milieu du deal, des injections, des dégradations, des rixes, des cris et des agressions. L’ouverture de cette salle n’a pas non plus empêché́ la recrudescence du crack dans le nord-est de Paris, et pour cause, elle est réservée à la consommation de drogues par voie intraveineuse. Réclamer des salles d’injection pour lutter contre le crack qui s’administre par inhalation est une ineptie révélatrice de l’inquiétante méconnaissance de la Ville des enjeux du crack.
Le coup de balai électoraliste d’Hidalgo
Enfin, l’ultime erreur – et non des moindres ! – est d’avoir pris la décision unilatérale d’expulser les toxicomanes des jardins d’Éole en juin dernier, sans s’en être concertée avec les services de l’État et malgré l’inquiétante mise en garde du Préfet quant à une dissémination des consommateurs dans le quartier qui rendrait la situation pour les forces de sécurité comme pour les riverains encore plus compliquée qu’elle ne l’était précédemment. Qu’importe, il fallait à tout prix éviter que la crise à Éole ne vienne perturber le lancement du mouvement « Idées en Commun » début juillet, premier étage de la fusée destinée à propulser Anne Hidalgo dans la course à l’Élysée.
Aujourd’hui, les toxicomanes poursuivent leur errance le long des grilles des jardins d’Éole sous les yeux des habitants découragés, écœurés et méprisés. Les enfants reprennent le chemin de l’école, la boule au ventre. Le quartier s’enlise, doucement mais inéluctablement. Qui s’en soucie ? Il y a fort à parier qu’Éole reste encore un bout de temps le doux mot d’une dure réalité.
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