Moi, Jamel Debbouze, il me fait rire. Dans le premier Astérix il était le seul à vraiment être drôle. Il a un vrai talent, ce garçon, et il aurait tort de ne pas l’exploiter. Mais Jamel n’est pas qu’un comique, il est aussi capable de jouer des rôles sérieux. Nous en avions déjà eu un aperçu dans Amélie Poulain où il jouait alors le rôle d’un jeune vendeur de quatre saisons, un peu simple et vraiment touchant, et surtout dans Indigènes. Le voici de nouveau dans un film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, Parlez-moi de la pluie, dans lequel il interprète le rôle de Karim.
Je me demandais qui pouvait bien être ce Karim. Je me suis donc jeté sur l’interview du comédien dans le JDD du 14 septembre. Sur Karim, je n’ai rien appris, mais j’ai approfondi mes connaissances sur Jamel Debbouze.
Sur une pleine page offerte par le journal et la journaliste Danièle Attali, le futur jeune papa nous fait comprendre qu’il souffre d’une humiliation permanente depuis son enfance, la preuve, un méchant lui aurait dit que « c’est bien pour toi de faire ce film avec Agnès et Jean-Pierre ». C’est vrai, c’est très vilain de dire des choses pareilles à quelqu’un non ? Mais pour Jamel Debbouze, c’est une terrible humiliation, ordinaire dit-il, car il le comprend comme un cadeau qu’on ferait au fils d’immigrés qu’il est, un cadeau condescendant. Soit, nous n’y étions pas et sommes bien incapables de dire quel ton fut employé par l’humilieur, sûrement fils de colon. La suite vaut le détour. L’humilié établit un lien direct entre cette humiliation par lui ressentie et l’intégration. « C’est dégradant d’entendre « intégrez-vous », dit-il. Je suis Français. »
Je me demande bien qui lui dit de s’intégrer à Jamel Debbouze ? À se sentir toujours humilié, cette idole des jeunes en deviendrait presque inquiétante. C’est que Jamel est une victime, une victime éternelle. Certes, une victime qui habite les beaux quartiers, une victime qui est l’une des stars françaises les mieux payées du moment, mais une victime quand même. C’est qu’il pense aux jeunes, à eux qui comme lui sont victimes du passé et du présent (!) colonial de la France, ce pays qui a employé sa mère comme femme de ménage. Et elle, malgré sa petite condition, trouvait que c’était « une chance d’habiter en France ». Le fils, lui, ne semble pas considérer la chose du même œil. Il juge même que « c’est intolérable ». Comme c’est un peu confus, on ne sait plus très bien ce qui est intolérable – que sa mère ait dû trimer ou bien qu’elle se sente redevable à la France d’avoir permis à ses enfants de devenir ce qu’ils sont ?
Alors lui, il a « envie de gueuler » et quand il gueule, ça décoiffe. Jugez plutôt : « Nos enfants à qui on va demander de s’intégrer (ça vire à l’obsession, on doit le lui demander tous les jours) ils réagiront plus violemment que nous (qui nous ?) (…). Ce ne sera pas des émeutes, ce sera pire. A être humiliés comme ça à outrance, ça crée des frustrés, de l’obscurantisme (Il est vrai que les talibans sont tous humiliés à outrance, tout comme les types du GIA ou les cheiks d’Arabie Saoudite…). (…) Moi je ne vois que de l’exclusion partout (c’est dur le huitième arrondissement). On cherche à intégrer les gens à coup de CV anonyme, c’est archaïque. »
Qu’on ne se méprenne pas. Il serait absurde de nier qu’il existe de la discrimination à l’embauche, au logement et à autre chose, ou encore que la vie dans certaines banlieues est loin d’être rose. Mais quand on écoute Jamel, on a l’impression que la France a instauré l’apartheid ! À moins qu’il ne devienne parano ? La fin de l’entretien suggère que c’est le plus probable. Interrogé sur le fichier Edvige, il s’énerve : « Ce qui me fout les boules, c’est qu’on va forcément aller au plus simple et cataloguer tous les petits « renois » et les petits « rebeux », sans même qu’ils fassent un faux pas. » Bien sûr, le racisme commence au niveau de l’Etat, comme à l’époque de Vichy, mais les cibles ont changé, on n’y avait pas pensé. En tout cas, rien ne saurait être reproché aux victimes. « Tant qu’on traitera mal cette population, elle se comportera mal. (…) Un jour, on ne pourra plus les retenir ces gamins. » Avec ce type de discours, c’est certain. Heureusement, il sait comment éviter le pire : « Il ne faut pas essayer de calmer les gens à coups de Kärcher mais de diplômes et d’éducation scolaire. » Fallait le dire ! Nous voilà sauvés ! Certes, la République a substitué le mérite à la naissance, mais les jeunes gens dont il parle ne devraient-ils pas, en compensation des torts faits à leurs parents, obtenir des diplômes simplement parce qu’ils sont ?
On arrêtera là le déballage de lieux communs, de discours simplificateurs et unilatéraux. Jamel Debbouze est un acteur, il fait ça très bien et la France, quoiqu’il semble en penser, l’a reconnu. En tant que citoyen, il est en droit d’avoir des opinions et de ressentir ce qu’il ressent. Mais nous avons, nous, le droit d’exiger que ses analyses nous soient épargnées.
NB : la semaine prochaine, dans le JDD, pour pourrez lire une interview de Dany Boon sur les problèmes de restructurations industrielles dans le Nord et dans quinze jours un entretien exclusif avec Paris Hilton sur les enjeux de l’élection présidentielle américaine.
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