Bains de foule, entêtement à contredire le discours majoritaire médiatique et gouvernemental… Jair Bolsonaro voit sa stratégie anti-système perdre de la vitesse. Le gouvernement est déchiré.
Lorsque la pandémie a touché son pays à la fin février dernier, le président brésilien a fait un pari. Convaincu que la circulation du virus et ses dégâts seraient limités, il a parlé d’une petite grippe et accusé d’hystérie les élus, la presse, les médecins qui prenaient la chose au sérieux. Les gouverneurs des Etats ont pris rapidement des mesures de confinement généralisé, fermé les commerces et les écoles, limité le transport. Le chef de l’Etat a dénoncé des initiatives insensées conduisant à un désastre économique et social. Pendant des semaines, il s’est acharné à contredire son ministre de la Santé, un médecin entré en politique, qui a très tôt préconisé une stricte quarantaine pour toute la population. Selon Bolsonaro, cette quarantaine devait être réservée aux vieux, seules personnes menacées par ce virus trop médiatisé. Méprisant les médecins, la science, l’OMS, le président a prétendu être le défenseur des pauvres, des millions d’habitants des favelas qui vivent de petits boulots, d’emplois au noir et perdent leur gagne-pain avec le confinement. Régulièrement, il a transgressé les règles élémentaires de prudence en improvisant des sorties, en multipliant les bains de foules, en encourageant les selfies.
Jair Bolsonaro a cru que la progression du nombre des victimes létales resterait indéfiniment une donnée statistique abstraite pour ses sympathisants…
Cette posture relevait d’un calcul politique cynique et sordide. Au lieu d’en appeler à l’union sacrée contre le virus, l’ancien militaire a poursuivi sa croisade contre le système, les institutions, l’establishment et l’élite. Il espérait ainsi renforcer sa clientèle politique.
L’épidémie progresse
Le pari était très risqué. Le capital de sympathie du président s’affaiblit. Un sondage de début avril indique que 9,8 millions d’électeurs (17%) sur les 57,8 millions qui lui avaient donné leurs voix en 2018 regrettent leur choix. Des analyses de l’activité sur les réseaux sociaux ont aussi attesté d’un recul de l’audience et de la popularité de Bolsonaro. Ces études révèlent encore que les admirateurs restés fidèles appartiennent aux classes les plus pauvres vivant à la périphérie des mégapoles, où l’influence des églises pentecôtistes est très forte. Convaincu que ces masses très religieuses n’accordaient guère d’importance à l’épidémie perçue comme une fatalité (un châtiment divin) et voulaient travailler à tout prix, le président a redoublé la mise. Il a cru que la progression du nombre des victimes létales resterait indéfiniment une donnée statistique abstraite pour ses sympathisants. Il fallait que les masses des banlieues puissent continuer à courir après leur gagne-pain. Sûr d’être en phase avec son vivier électoral, Bolsonaro n’a pas cessé d’attaquer les gouverneurs, les élus, les magistrats de la Cour Suprême, le ministre de la Santé et tous les soignants qui se mobilisaient pour freiner le Covid-19.
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L’épidémie progresse vite. Au 15 avril, officiellement, on dénombrait 25 262 cas et 1532 décès (contre 5717 et 201 en début de mois). En réalité, le nombre des personnes infectées dépassait alors 316 000 et celui des victimes létales était bien plus élevé. Les tests sont en effet très limités. De nombreux malades non identifiés meurent loin des hôpitaux ou ne peuvent plus y être pris en charge. Le Brésil pourrait déplorer 280 000 morts du Covid-19 avant juillet. Le coronavirus devient une réalité concrète angoissante et obsédante dans les grandes métropoles et leurs périphéries. Les cortèges funèbres et les fosses communes n’envahissent pas encore les rues et les écrans mais ce n’est qu’une question de temps. Ceux qui souffrent depuis des semaines de la dégradation brutale de conditions de vie déjà précaires commencent à reprocher au président ne n’avoir pas tout fait pour protéger la vie de leurs proches. L’avancée du virus est encore très loin d’être contenue. Le président ne contribue guère à faciliter un confinement efficace.
Ce n’est pas encore l’hallali mais…
Pour Bolsonaro, ce n’est pas encore l’hallali (qui viendra probablement une fois passé le pire de la crise sanitaire) mais c’est déjà un confinement politique. Le gouvernement est déchiré. Il attend la démission d’un ministre de la Santé qui s’épuise à faire comprendre à demi-mot que son chef déraille. Ce dernier est considéré par la grande majorité des parlementaires comme un irresponsable. Déjà crispées avant l’épidémie, les relations entre l’exécutif et le Congrès sont devenues exécrables. Les Juges de la Cour suprême ont pris leurs distances avec le pourfendeur des mesures de confinement. La crise ouverte entre les gouverneurs et le président n’a aucun précédent historique. Les militaires ont tenté (sans succès) depuis des semaines de contrôler la parole présidentielle. Très présents au sein du gouvernement (8 ministres sur 22, plus de 1000 officiers occupant des postes de confiance dans les cabinets et la haute administration), les représentants de l’armée ne sont pas des partisans enthousiastes du confinement systématique. Ils craignent que les révoltes de la faim qui pourraient éclater dans les banlieues condamnées à la misère. Ils savent aussi qu’à l’issue de la crise sanitaire l’autorité du président qu’ils soutiennent encore aura été extrêmement affaiblie.
Pour l’opinion, Bolsonaro sera responsable du bilan de la pandémie, de la récession et du chômage de masse qui commencent. Ce confiné politique ne pourra plus agir. Anticipant la situation, des opposants réclament une procédure de destitution. Le comportement et le discours irresponsable du président face à la progression de la pandémie et de la tragédie humaine annoncée constituent un motif largement suffisant. Le Congrès (qui devrait engager le processus) et l’opinion publique ne sont pourtant pas prêts. La population brésilienne est fatiguée par des années d’une crise politique que la présidence Bolsonaro a aggravée alors qu’elle était censée y mettre fin. Les parlementaires craignent aussi qu’en écartant le chef de l’État du pouvoir ils le transforment en martyr, requinquant ainsi les 25% de Brésiliens résolus et fanatisés qui restent bolsonaristes.
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Si le chef de l’Etat ne se résigne pas enfin à gouverner, à rétablir un minimum de dialogue avec les autres institutions, les militaires devront choisir entre deux options. La première sera de « conseiller » fermement au président de se retirer, d’abandonner de lui-même son poste. Le général Hamilton Mourão, vice-président, pourrait alors assumer la tête de l’exécutif jusqu’à la fin du mandat. L’autre option pourrait être de contraindre Bolsonaro à accepter une tutelle, de réduire ses prérogatives, de le confiner à une simple fonction symbolique. Cette seconde option est préférable. Pour qu’une nouvelle phase aigüe de crise politique ne vienne pas s’ajouter à la dépression économique et au cataclysme social qui se préparent, il vaut mieux que Bolsonaro reste à Brasilia jusqu’en fin 2022, qu’il puisse se porter à nouveau candidat et qu’il perde son poste au terme d’une élection claire et transparente. Il faut que le pyromane de la crise sanitaire en cours soit désavoué dans deux ans par une large part de l’électorat qui lui a fait confiance en 2018.
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