La « tradition » de la galette n’est-elle pas, avec ou sans fève, dans les mots même, une atteinte à la loi de 1905 ?
On le voit, pelle à gâteau à la main, devant une immense galette à la frangipane. Le mot en bouche, il lance à ses invités : « Je rappelle qu’il n’y a pas de fève ici ! » Rien que de l’amande. C’était en 2024, à l’Élysée, pour la traditionnelle galette de l’Épiphanie. Le président était prudent : il se souvenait que le 30 décembre 1792, quelques mois après la prise des Tuileries, avant que Louis XVI soit guillotiné, un député conventionnel avait proposé un décret abolissant la fête des Rois. On avait eu beau proposer de la débaptiser en « fête de bon voisinage », « fête des philosophes, » « fête des sans-culottes », fête de l’Égalité, rien n’y avait fait. Galette des Rois, il y avait, galette des Rois, il y a encore. Même quand on dit « la galette », le mot a une charge liberticide terrible. A moins que Mélenchon ne s’en mêle. Que des plaintes soient déposées si des mairies s’avisent de faire une galette des Rois. Avant d’en arriver là, réfléchissons aux « enjeux » : ils sont de taille.
La galette des Rois est une tradition gastronomique. Mais pas que. Ou plutôt, cette tradition gastronomique s’ancre dans « le cultuel » via « le culturel ». Et là, ce n’est pas une égalité factuelle qui est en danger mais la laïcité. Et c’est du costaud pour la gauche, les écolos, les ultras /ultras. La « tradition » de la galette n’est-elle pas, avec ou sans fève, dans les mots même, une atteinte à la loi de 1905 ? N’est-elle pas, également, discriminante ? Pour les gros, les maigres et les pauvres ? On sait ce que veut dire « être plat comme une galette ». Et « avoir de la galette. »
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La galette des Rois s’enracine dans notre passé puisque elle n’est rien d’autre que la christianisation d’une tradition païenne fêtant l’allongement des jours. Au moment de la fête du Sol invictus, (le Soleil invaincu), on faisait une galette : occasion de réjouissances dans les familles. On désignait un roi d’un jour. Royauté éphémère : une espèce de Saturnale bon enfant. Cette galette de l’égalité devint ensuite un symbole de partage puis de charité. Au Moyen Âge, la tradition en demeure jusqu’à nos jours.
Les esprits éveillés ont bien vu que ce « culturel » était un symbole royaliste et cultuel. L’Épiphanie raconte la visite des Rois Mages, venus d’Orient, sur leurs chameaux chargés de trésors, adorer l’enfant Jésus dont ils ont vu se lever l’étoile. Ces mages, que l’on connaît bien, Gaspard, Melchior et Balthazar, ce sont des hommes riches de science et de biens. Ouvrant leurs coffres, ils offrent à l’enfant de la crèche, comme à un roi, de l’or, de la myrrhe et de l’encens.
L’Épiphanie signifie « Dieu rendu visible » à tous sous la forme la plus humble qui soit. On comprend que tous les Césars du monde en aient peur. Mais il n’y a pas que la galette à être inquiétante, il y a « la marche des Rois ». Quel bonheur d’entendre, en ce dimanche de l’Épiphanie, chantée martialement, après cinq ans de silence, dans une cathédrale ravagée par le feu, la traditionnelle et très provençale Marche dei Rèis, reprise par Bizet dans son Arlésienne ! Quant à la galette, elle se décline en version d’oc et en version d’oïl : au Sud, c’est à la fleur d’oranger. Au Nord, c’est à la frangipane. Pour moi, c’est la fleur d’oranger.
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