L’éditorial de juin d’Elisabeth Lévy
Que Marion Maréchal me pardonne, mais son plaidoyer pour les « mamans courage », paru dans Le Figaro le jour de la fête des Mères m’a passablement agacée. D’abord, une lectrice sourcilleuse de Renaud Camus devrait savoir que le mot « maman » est réservé à l’usage privé et (dans la majorité des cas) à une seule personne. Et puis, cette peinture de mères toutes aimantes et vertueuses, c’est du Walt Disney. « La gauche n’aime pas la famille », affirme Mathieu Bock-Côté. Ce n’est pas vrai. L’idéalisation un peu nunuche de la famille n’est pas l’apanage de la droite, ni des hétéros et autres cisgenres. Porteuses de jupes plissées, hommes à cheveux bleus, chanteuses à barbe et sexuellement indécis : tout le monde veut les enfants, le chien et Darty le samedi après-midi. Les innombrables thuriféraires de la famille heureuse n’ont jamais dû lire un roman, ni voir un film de Bergman.
Cependant, ce n’est pas parce que la famille peut être un lieu d’enfermement et de négativité qu’elle n’est pas une médiation indispensable entre l’individu et les communautés humaines. En plus d’être une source d’amour et de névrose, le foyer est le premier échelon administratif, ce n’est pas rien.
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Pour Sonia Devillers, l’impayable intervieweuse de France Inter, championne de la bondieuserie progressiste (elle a connu l’extase en accouchant Godrèche), toutes les familles ne se valent pas. Recevant, temps de parole oblige, la tête de liste Reconquête !, elle répète à plusieurs reprises, avec un ton d’institutrice indignée « vous défendez la famille française, et la famille chrétienne ! », sans qu’on sache très bien ce qui, de française ou chrétienne, est le plus infamant. « Pétainiste ! » lâche finalement notre femme savante. « Au moins je sais pourquoi je veux privatiser l’audiovisuel public », réplique Maréchal. Et toc.
Marion Maréchal a raison de s’inquiéter de la catastrophe démographique qui vient. Donc de prôner des mesures natalistes. Et elle a le droit de préférer le modèle papa-maman-la bonne-et-moi[1], même si ça débecte Madame Devillers qui aimerait bien lui coller un procès.
« L’envie du Pénal »[2] de la vertueuse francintérienne trouve un terrain plus favorable, la transidentité, qu’un lobby hargneux et procédurier veut imposer comme une norme parmi d’autres. Après le prix décerné à Cannes à Karla Sofia Gascón, actrice espagnole transgenre, Maréchal a écrit : « C’est donc un homme qui reçoit le prix d’interprétation… féminine. » Six associations portent plaintepour « injure transphobe », tandis que la principale intéressée teste le colifichet pénal inventé par Marlène Schiappa, le délit d’outrage sexiste. On ne voit pas le rapport entre le propos de Maréchal et une femme qui se fait siffler dans la rue, mais passons. « La transphobie n’est pas une opinion, c’est un délit ! » braille Devillers, certaine d’avoir la loi avec elle.
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Si elle a raison, si le commentaire de Marion Maréchal (appelé « mégenrage » en jargon LGBT) est hors-la-loi, il y a le feu au lac des libertés. Certes, Karla Sofia Gascón a obtenu en justice un état-civil de femme et le droit d’être reconnue comme telle. On comprend qu’elle soit blessée quand Maréchal affirme qu’un homme reste un homme. Ça ne fait pas de ce propos une injure. Le scepticisme est un droit. Quel est le poids de la génétique ? Jusqu’à quel point peut-on changer ce qu’on est ? Tout cela devrait être matière à débat et controverses, pas à un festival d’interdits. On peut aussi penser à mi-chemin, comme cette trans magnifique qui m’a dit un jour « je sais que je ne suis pas complètement une femme ». La loi n’est pas là pour panser les blessures narcissiques. Interdire toute distinction entre femmes trans et femmes de naissance revient par ailleurs à instaurer une parfaite égalité, notamment dans le sport, et une totale promiscuité dans les vestiaires. Même Sonia Devillers peut comprendre que c’est problématique.
Plus grave que ces frottements de la vie concrète, il y a la censure drapée dans la bienveillance inclusive. Il n’est plus question seulement de traquer la pensée ou la parole, mais d’une police du réel, dûment partagé entre licite et illicite. Si la justice cède, il sera interdit demain d’affirmer qu’il y a des hommes et des femmes ou d’observer la surreprésentation des étrangers dans la délinquance de voie publique, et après-demain, comme dans 1984, de dire que deux et deux font quatre. On répète à satiété la formule de Péguy : « Il faut voir ce que l’on voit. » Alors, profitons-en tant que c’est légal.
[1] Personnellement, tant qu’on ne ment pas sur la fabrication des enfants (donc sur la filiation), je suis plus libérale que Marion Maréchal quant aux conditions de leur élevage. Des homosexuels et des lesbiennes peuvent être des parents aussi toxiques qu’un couple à l’ancienne.
[2] Dont Philippe Muray avait compris qu’elle est l’affect dominant de l’époque.