Il y a des êtres qu’on devrait laisser tranquille.
Il y a des personnalités que les médias ne devraient plus tenter.
Je demande que Jacques Séguéla soit dispensé de nous prodiguer ses pensées et ses analyses. Je n’ai rien contre son bronzage et sa passion des Rolex mais il me semble qu’ils ont parfumé son cerveau.
Il est libre d’écrire les livres qu’il veut et de nous faire détester la rencontre entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni en nous décrivant par le menu sa totale absence de romantisme.
Il peut s’abandonner à des boutades ridicules et vulgaires qui révèlent ce qu’il y a d’insupportable dans l’élitisme qui n’est pas, sur le plan intellectuel, à la hauteur de ses moyens.
Il a, paraît-il, inventé le slogan « La force tranquille » pour François Mitterrand mais il ne va pas exploiter ce capital pour l’éternité. Le candidat a été plus formidable que le concept.
Mais rien ne l’arrête jamais.
Il est vrai que convié à la radio ou à la télévision et consulté comme un oracle, ce mondain qui fait illusion a droit à la parole et il en profite.
Sa dernière trouvaille : comparer la communication de Bernard Tapie avec celle de François Mitterrand en affirmant que le premier est un grand communicant et le second le meilleur (20 minutes).
Ce n’est pas parce que notre ancien président éprouvait une trouble fascination pour son éphémère ministre que l’un a quoi que ce soit à voir avec l’autre. Au contraire. Mitterrand, probablement, était d’autant plus curieux de la personnalité de Tapie que le mode d’expression, le langage de celui-ci étaient aux antipodes des siens et que rien ne ressemblait moins à la suavité et à l’intelligence griffeuses et impitoyables de François Mitterrand que la gouaille éloquente et irrésistible de Bernard Tapie.
Bernard Tapie va interjeter appel de l’ordonnance de saisie d’une partie de ses biens et de ses finances. Il affirme ne plus pouvoir même rédiger un chèque de dix euros. Depuis le mois de mai 2012, il se bat, il se débat, il argumente, il réplique, il fonce et rudoie, bateleur de talent, il y a quelque chose de désespéré et presque de touchant dans cette lutte quasi quotidienne dont les médias lui offrent généreusement l’opportunité.
Il ne me convainc pas, parce que précisément cette affaire, datant de 1995, n’est plus étrangère à la plupart des citoyens depuis au moins 2008 et encore moins depuis l’élection de François Hollande. Il n’est pas un média qui ne se plaise à recenser les erreurs et les mensonges de Tapie, tout en le cultivant parce que son aura sulfureuse attire et qu’au moment même où on perçoit les trucs et les manoeuvres, on est pourtant obligé de se dire : « Tout de même, quel punch, quelle résistance, quel bagout ! »
Si je me laissais aller, si je ne craignais de choquer, je ne pourrais me déprendre d’une forme d’indulgence cynique pour Tapie qui a toujours été ce qu’il montre et qui révulse ou séduit, c’est selon, alors que, pour les quelques autres qui ont froidement, lucidement, frauduleusement, eux qui avaient la charge au plus haut niveau de l’état de droit, favorisé les intérêts de ce flibustier, je n’éprouve qu’une immense désillusion. Celle qui naît du gouffre entre des responsabilités éminentes et la petitesse des comportements. Celle que suscite la dégradation du service de l’Etat en service de Tapie.
Jacques Séguéla aurait dû mieux appréhender ce qu’est devenue la parole de Tapie. Aujourd’hui communicant imparfait, contradicteur puissant mais peu crédible, il lui manque ce qui fait le fond de toute entreprise de persuasion qui prétend convaincre, bouleverser, emporter la décision : un peu de vérité, de la plausibilité, l’acceptation des données indiscutables, le refus d’une surenchère qui n’affecte pas seulement ce qu’elle traite mais l’ensemble du propos.
La force redoutable de Tapie hier, par exemple en face de Jean-Marie Le Pen lors d’un fameux et violent débat, tenait au fait qu’il s’appuyait sur un socle pas dénué de fondement, souvent juste, clairement admissible. On avait envie, à cause de cette présomption de pertinence, d’être de son côté.
Aujourd’hui, c’est l’inverse.
On admire l’artiste mais il peine. Il a trop à remonter.
Jacques Séguéla, avec sa Rolex dans la tête, ne nous aide pas à comprendre.
Pourquoi lui demander son avis ?
*Photo : itélé.
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