J’ai eu beau fouiller, me tourner de toutes parts, je n’ai rien trouvé. Ainsi une profonde injustice se faisait jour, Jacques Perret, mort voici vingt ans, passait aux oubliettes ! Pourtant, les éditions Via Romana viennent de sortir le premier volume de ses chroniques parues dans Aspect de la France. Alors, profitons de l’occasion…
Jacques Perret est né en 1901, comme mon grand-père, c’est dire si ma découverte de l’auteur démarrait sous les meilleurs auspices quand, adolescent, j’achetai Le Caporal Epinglé, ouvrage avec lequel il échoua de peu au prix Goncourt. Quatre ans plus tard, il obtint l’Interallié pour Bande à part. Je ne sais si ce prix fut à la mesure de son talent, mais il lui permit d’acquérir un bateau, le Matam, « oiseau des mers » avec lequel il put réaliser ses rêves pélagiques avec l’ami Collot. Il en tira Rôle de plaisance, son livre préféré.
Je pense avoir tout lu de Perret. Le plus extraordinaire est que je pense avoir tout relu également. Car Perret est de ces rares écrivains qui ne lassent pas et qu’on peut lire et relire à l’infini en éprouvant toujours le même ravissement. Un sacré camouflet pour la théorie de l’utilité marginale décroissante ! Dernièrement, je me suis à nouveau extasié sur ses Insulaires. Luxuriance du style et vocabulaire richissime. Ajoutez-y périphrases et métaphores de qualité, un humour finement ciselé, et vous avez là une cuvée qui vous fait claquer la langue française au palais.
L’homme sait également émouvoir. Son livre de souvenir Raisons de famille , tout en délicatesse, en apporte la preuve. Le passage du voyage avec son père du côté de Bouchavesne dans la Somme pour retrouver la dépouille du frère tué au front en 1916 est un moment poignant, servi tout en pudeur et retenue.
Mais il était aussi un pamphlétaire redoutable dont l’efficacité renvoie sur les bancs de l’école nos folliculaires modernes, qui confondent souvent agressivité et talent. Son soutien à l’Algérie française et son opposition au grand Charles lui valurent quelques déboires : déchéance de ses droits civiques et retrait de la médaille militaire. Commentant en 1949, bien avant son heure, la même mésaventure (à l’exception de la médaille) survenue à Aragon pour avoir publié de fausses nouvelles dans son journal, il écrit : « Je me dis tout bonnement, que privé de sa carte d’électeur, un poète digne de ce nom peut encore écrire des poèmes, et c’est le principal ».
On voit bien par là que la punition gaullienne ne laissa pas à Perret un mauvais pli à l’estomac. En bon marin, Perret a toujours hissé sa voile contre le vent de l’histoire. Cela ne pardonne pas dans notre démocratie moderne, et au panthéon de la reconnaissance républicaine, il est plutôt tricard. Tour à tour gaulois, mérovingien, chouan et mousquetaire, il était terriblement français, un indécrottable français, mais d’une France qui n’existe plus guère. S’étant toujours déclaré pour le trône et l’autel, à l’argument que les temps ont changé il répondait imperturbable : « Qu’ils aient changé ou non c’est leur affaire, mais un principe n’est pas une girouette. »
C’est sans doute ce qui donne à ses écrits le charme suranné des vérités séculaires aujourd’hui étouffées sous les apophtegmes progressistes ! Ce n’est pas qu’il était contre le progrès mais il se méfiait : « Bien sûr, unité, universalité, c’est un vieux rêve, une noble hantise ; et sur le plan temporel elle sert de caution à toutes les entreprises d’hégémonies, à toutes les tyrannies autocratiques et doctrinaires ».
J’espère que ce Dieu qu’il aimait tant lui a réservé une place de choix et que les vignes célestes lui offrent de temps en temps un petit coup de muscadet. Quant à moi, en avançant en âge, je me retrouve de plus en plus dans cette phrase : « À mesure que se développe une certaine notion aberrante et inhumaine de l’universel, je tends à me ramasser dans le particulier ».
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