Accueil Édition Abonné Décembre 2017 Jacques Julliard: « Les socialistes souffrent d’une mauvaise conscience coloniale »

Jacques Julliard: « Les socialistes souffrent d’une mauvaise conscience coloniale »


Jacques Julliard: « Les socialistes souffrent d’une mauvaise conscience coloniale »
Historien et journaliste spécialiste des gauches françaises, Jacques Julliard vient de publier "L'Esprit du peuple". Photo: Hannah Assouline

L’historien Jacques Julliard, qui vient de publier L’Esprit du peuple, critique sans détour les orientations du socialisme d’aujourd’hui.


Causeur. Dans le divorce entre la gauche et les classes populaires dont vous faites la chronique désenchantée, la question de l’immigration est-elle le principal sujet de conflit ?

Jacques Julliard. L’un des principaux, en tous cas. Depuis quarante ans, comme à la fin du XIXe siècle, mais à une échelle bien supérieure, les classes populaires ont l’impression, à tort ou à raison, que les immigrés prennent en partie leur travail. Avec de surcroît une pression sur l’habitat, on est arrivé au résultat que décrit Christophe Guilluy : concentration des immigrés dans certains quartiers, généralement populaires, formation d’une France périphérique qui se sent oubliée et exclue du système politique. Or, même s’ils sont « discriminés », comme on dit maintenant, beaucoup d’immigrés peuvent – comme le prolétariat ouvrier du passé – avoir l’impression de faire partie du jeu politique. En revanche, beaucoup de membres des classes populaires – ouvriers, employés, artisans, commerçants – ont l’impression de disparaître sans laisser de traces ni d’adresse.

Il y aurait donc deux classes populaires : « immigrés » et « périphériques »…

Incontestablement. Comme les Français périphériques n’ont pas vraiment de porte-paroles, ils reprochent implicitement à la gauche d’avoir choisi un nouveau prolétariat au détriment de l’ancien. D’où leur vote en faveur du Front national. Malgré certaines velléités de résistance du Parti communiste, qui n’occupe plus qu’une place marginale, le sentiment d’exclusion culturelle précède même celui d’exclusion économique. Au fond, aussi longtemps qu’il n’était exclu qu’économiquement, le prolétariat acceptait sa condition tout en la combattant. Maintenant qu’il est exclu culturellement, il la supporte beaucoup moins.

La gauche est mal à l’aise avec la question de la nation

Pourquoi la gauche a-t-elle choisi l’immigré aux dépens du « petit Blanc » ?

Les socialistes français éprouvent une mauvaise conscience coloniale vis-à-vis des immigrés, en particulier maghrébins et surtout algériens. Cela n’explique pas tout, mais le complexe Guy Mollet reste ancré dans le subconscient des socialistes. Et en vertu d’un phénomène classique en psychologie, ils ont surcompensé en affichant leur préoccupation pour le sort des immigrés, ce qui ne veut pas dire que celui-ci se soit formidablement amélioré… C’est tout de même chez les immigrés qu’il y a la plus forte proportion de chômeurs ! Consciemment, la gauche veut aussi être fidèle à son héritage marxiste en inventant un nouveau prolétariat. À ceci près que Marx ne voulait pas entendre parler du sous-prolétariat – le fameux lumpenprolétariat – ou d’un prolétariat de rechange. Quand il dirigeait la CFDT, Edmond Maire a été le premier à dire : « On ne peut pas réduire le prolétariat français à la vieille classe ouvrière, il y a aussi les immigrés, les chômeurs, les différents exclus… »

Dès l’origine, le camp des Lumières postule l’existence


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Décembre 2017 - #52

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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