Après une enfance difficile et sans formation particulière, Jacques Genin n’a suivi que ses intuitions. Le garçon plein de rage et hypersensible est parvenu à transformer sa colère en force créatrice, jusqu’à devenir l’un des meilleurs pâtissiers chocolatiers de France.
Nous naissons tous avec un nom que nous n’avons pas choisi. Mais nous pouvons aussi le recréer afin de nous libérer de son emprise. Ainsi Jacques Genin a-t-il supprimé l’accent aigu qu’il y avait sur le « e » pour ne pas porter le même nom que son père qui le battait…
Cinq heures durant, au cours d’un mémorable déjeuner bien arrosé, le plus grand pâtissier et chocolatier de France s’est livré, l’œil embué de larmes.
Un caractère !
Nous sommes en présence d’un fauve, d’un animal sauvage de 65 ans à la force vitale toujours prodigieuse, qui continue à caraméliser ses pistaches de Sicile à la main dans des chaudrons en cuivre… Un de ces caractères que notre société s’efforce aujourd’hui d’effacer et de castrer au profit de petits hommes gris en costumes bleus.
« Mon parcours a commencé dans les abattoirs des Vosges, quand j’avais 12 ans. Les abattoirs, c’était pour me sauver, pour ne pas mourir… J’ai mis une vie pour mettre des mots sur cette période. »
Né en 1959 à Saint-Dié-les-Vosges, Jacques Genin vient des bas-fonds. Battu et violenté par ses parents, il s’enfuit et travaille durant sept ans dans des abattoirs.« Enfant, je détestais l’être humain… je ne connaissais pas l’amour… je ne connaissais que la violence et la haine contre mes parents… en même temps, j’étais un garçon plein de rêves. »
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Un jour, il entend parler sur RTL d’un grand chef, trois étoiles Michelin, nommé Alain Chapel, dont le restaurant se trouve à Mionnay, à 20 km de Lyon. Une force le propulse aussitôt dans un train, en troisième classe.« J’arrive là-bas. Je regarde la carte affichée à l’entrée du restaurant. Il n’y a pas de prix ! Je ne comprends rien à ce qui est écrit. Je ne sais pas ce qu’est un homard, ni ce que sont des écrevisses… Un monsieur sort alors du restaurant, vêtu tout en blanc. Je ne savais pas qui était Chapel, je ne l’avais jamais vu. Il me demande très poliment s’il peut m’aider. Il me fait entrer et m’installe à une table alors que j’étais habillé n’importe comment. Il me propose un verre, mais je n’aimais pas le vin qui était associé à l’odeur du vomi de mes parents… Monsieur Chapel (je ne sais toujours pas que c’est lui) me retire la carte des mains et me sert des plats qui vont me bouleverser. Après le repas, il me raccompagne à la porte sans me faire payer et me dit simplement : “Merci d’être venu.” Pour la première fois de ma vie, j’ai vu ce qu’était la générosité ! Humainement, c’est Alain Chapel qui a fait de moi ce que je suis. Il m’a irradié et m’a aidé à sortir de ma prison intérieure. »
À 19 ans, Jacques part sur les routes, fait du stop, sans but. Un camion le prend et le dépose à Paris… Il faudrait écrire un livre sur sa vie. Ses petits boulots, sa rencontre avec les prostituées de la rue Saint-Denis, puis Valérie, en cinquième année de médecine, qui lui apprend ce qu’aimer veut dire et qui lui donne une fille qu’il adore et qui deviendra avocate.
Le plus fascinant, c’est de voir comment ce garçon plein de rage est parvenu à transformer sa colère en force créatrice. Un jour, il décide de monter son propre restaurant, rue de Tournon. Sans le permis, il va en Bretagne chercher ses poissons. Très vite, le Guide Michelin le remarque et lui propose une étoile qu’il refuse : « Ne faites pas ça, je ne suis pas mûr, je me cherche, je vais me barrer. »
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Le lendemain, la Maison du chocolat le recrute comme chef pâtissier… De 1992 à 1996, il crée le cake au citron, le marbré et l’éclair au chocolat qui demeurent les signatures de cette institution.
Mais comment devient-on pâtissier et chocolatier du jour au lendemain, sans avoir fait aucune école ? « La première fois que tu as embrassé une fille, est-ce que tu as fait une école pour ça ? Tu inventes ! Ce n’est pas marqué dans un manuel. Ce qui compte, c’est l’envie, l’énergie qu’il y a dans ton ventre. »
Quand la Maison du chocolat lui demande de faire du congelé, Jacques donne sa démission. « Ne vous faites pas d’illusions, aujourd’hui, tous les pâtissiers font du congelé, à commencer par les galettes des rois qui sont mises au froid dès le mois de septembre. L’inconvénient est que cela assèche le feuilleté qui devient friable. Moi, je fabrique mes galettes le jour même ! Je suis le dernier à faire ça. Je suis un besogneux. » Genin met toute sa vie dans ses créations. Ses chocolats fins comme de la dentelle de Bruges, ses pâtes de fruits pleines de fraîcheur, ses caramels qui ne collent pas aux dents…
Situé dans un bel immeuble du XVIIe siècle, dans le Marais, sa boutique ressemble à un grand atelier de peintre où la pierre, le bois, la brique et le fer forgé renvoient la lumière du jour. Unique à Paris, son laboratoire est à l’étage, et non dans un sous-sol obscur. C’est là qu’il est passé maître dans l’art des accords.« En infusant une plante ou une épice, tu obtiens une huile qui concentre les goûts. Il ne te reste plus qu’à marier cette quintessence avec le chocolat. »
La pâtisserie, une évolution constante
Son fameux chocolat à la menthe est, de ce point de vue, un archétype. Au début, c’est un simple bonbon de 50 g que l’on croque et qui se casse dans la bouche. La ganache se répand alors sur le palais en donnant une sensation d’onctuosité. Puis surgit d’un coup la fraîcheur délicate de la menthe, semblable à un joli gazon au milieu d’une clairière… Enfin, la puissance acidulée du chocolat de Madagascar reprend le dessus avec ses notes boisées et épicées ! Une symphonie en mouvement. On est loin des chocolats à la menthe d’autrefois qui sentaient l’after-shave.
« Les pâtissiers-chocolatiers ont répandu cette légende selon laquelle leur métier serait une science exacte, une chimie au gramme près. C’est pour défendre leur statut social. En fait, on s’adapte, on bricole, comme un peintre qui change ses couleurs selon la lumière du jour. Ma pâtisserie évolue et change tout le temps. Ce qui compte, c’est mon premier ressenti. »
Avec une telle franchise, Jacques Genin est un homme que l’on ne peut qu’aimer.
Jacques Genin
133, rue de Turenne, 75003 Paris
Tél. : 01 45 77 29 01
La cantine où il aime manger :
Vantre
19, rue de la Fontaine-au-Roi, 75011 Paris
Tél. : 01 48 06 16 96
Un restaurant merveilleux dirigé par un encyclopédiste des vins.
Menu entrée-plat-dessert à 28 euros !