Monsieur Nostalgie vous parle du plus urbain des acteurs français, sa haute civilité reste dans toutes nos mémoires
Ces derniers temps, on s’interroge beaucoup sur la figure du chef. La statue est branlante. Le soc se fissure et l’on regarde le sabordage en direct de nos élites déconfites avec effarement et aussi une pointe d’amusement. C’est beau un système qui tombe. Décideurs politiques ou économiques, artistes engagés ou stars moralisantes des médias, les « autorités » ont perdu de leur superbe. On les bouscule, on les tance, pis, on les ignore superbement. Comme si leurs bavardages et leurs errements avaient fini par nous lasser, voire nous importuner.
De l’ossature, de la conviction que diable !
Qui sont ces gens qui s’agitent alors que leur propre destin file entre leurs mains moites ? Au-delà de la pauvreté de leur langage, la versatilité de leur opinion ou leurs sautes d’humeur d’enfants gâtés, ils sont incapables de se maîtriser en public, ils nous inspirent une forme de désintérêt souverain. Même leurs minables gesticulations pour capter le point rouge de la caméra ne sont plus crédibles. Ils pataugent et nous sombrons avec eux. On ne leur reproche même pas leur nullité, leur impéritie, leur manque de vision et de vista. Ils sont flous par nature comme tous les mauvais acteurs. De la communication écrite et orale, ils n’ont retenu qu’un bric-à-brac de faussetés et d’approximations. Ils balbutient dans le poste, pérorent devant les micros, avec l’assurance de débutants cabochards. Il y a quarante ans, la plupart d’entre eux, ministrables et autres capés, aurait été recalée à une élection cantonale où il fallait essayer de parler juste et vrai pour l’emporter, maîtriser quelques dossiers locaux et posséder une solide culture générale.
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Tout ça manque d’ossature, de conviction, d’incarnation comme disent les politologues à l’approche des présidentielles, de soubassement en fait. À leur décharge, il faut bien avouer que les modèles font défaut depuis le tournant de la rigueur. Le moule a été cassé après-guerre. Notre société a dévissé et a abaissé ses standards de qualité.
Self-control
Nous avons vu ainsi défiler, ces dernières années, une bande de clampins en costumes « bon marché », ressassant la rengaine des jours heureux et de la mondialisation radieuse. Les flonflons à la française des grandes écoles et des corps constitués. Le replâtrage et l’euphémisme comme seule réponse aux graves troubles actuels. Le plus tragique dans cette grande lessiveuse fut la manière, grossière et méprisante, vulgaire et bêtement copineuse que nos élites employèrent avec nous. Le téléspectateur des chaînes d’info continue ne sait donc plus à qui se fier, qui croire, qui suivre. Un chef de parti ressemble plus aujourd’hui à son voisin d’à côté qu’à un guide « spirituel ». Rejoindriez-vous le maquis ou Londres à l’intonation cafouilleuse de nos dirigeants ? Leur Appel resterait sourd. Nous avons besoin d’élévation. D’un peu de dignité et de flambe, d’un ordre naturel qui nous surplombe sans nous anéantir, d’un maintien qui ne soit pas sujet à caution, d’une rigueur qui s’exprime avec une classe folle. Nous avons décidément côtoyé trop de gens inélégants. Le cinéma des années 1970-1980 disposait de cet individu idoine, pose statutaire, débit lent empreint d’une courtoisie sèche, princier dans sa mise et épiscopal dans sa mire. Jacques François (1920-2003) incarnait cette vieille France éternelle, corsetée, tellement désuète qu’elle en devenait indispensable à la cohésion nationale. Aucune fonction honorifique ne lui échappa sur les écrans, tour à tour, procureur, préfet, docteur, colonel, avocat, pharmacien dans « Le Père Noël » et proviseur dans « Pause café ». Ce second rôle discret, précautionneux, ne cachetonnait pas l’amour du public. Il ne verbalisait pas ses émotions. Par politesse, il cachait ses failles. C’était un homme de « Palace » qui ne voyageait pas en troisième classe. Même dans son autobiographie Rappels parue en 1992, il gardait son self-control et ne se vautrait pas dans un déballage. Au théâtre, il fut une vedette, ami de Cocteau et de Jean Marais, proche de Gérard Philipe et de Serge Reggiani, de toutes les aventures d’André Barsacq à Françoise Sagan, jouant indifféremment pour Félicien Marceau et les tournées Karsenty. Il avait été élevé parmi les têtes couronnées et dans ces appartements immenses aussi froids que l’était sa mère. Il faut lire ce texte pour se souvenir d’un monde disparu à jamais, il avait fréquenté tout ce que Paris, New-York et Los Angeles comptaient de gloires. Un jour, à la table de Charlie Chaplin, de Ginger Rogers, de Fred Astaire, d’Arthur Rubinstein ou encore de Hedy Lamarr, un autre l’interprète de Sir Alec Guinness, un soir d’Apostrophes en janvier 1986 et pour toujours, l’intime du couple Noiret (Philippe et Monique). Il était américain par sa mère et devint officier de liaison de la 7ème armée durant la Seconde Guerre mondiale. Il avait été le condisciple à Janson de Jean Dutourd qu’il surnommait « le coq de la classe » ; par deux fois, il tentera l’aventure hollywoodienne sans véritable succès et vécut la vie des expatriés de bohème aux côtés de Charles Boyer et de Jean-Pierre Aumont. En smoking, avec ses lunettes en écaille, il n’était jamais ridicule. À l’Elysée, il aurait été royal.
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