Les films musicaux du réalisateur proche de la Nouvelle Vague sont à retrouver sur la plateforme de diffusion.
Netflix a aidé nombre d’entre nous à supporter le confinement. Depuis fin avril, ce juke box à séries américaines a eu la brillante idée de mettre en ligne des merveilles de la Nouvelle Vague ou assimilées. Du Truffaut, évidemment, mais aussi Resnais et… Demy.
Les adorateurs de Demy, dont je fais partie, nous sommes une secte. Nos mantras sont les paroles de ses chansons et les dialogues de ses films, des plus triviaux (car il y a de la trivialité chez Demy) aux plus poétiques :
« Nous ferons ce qui est interdit / Nous irons nous promener la nuit
Nous irons ensemble à la buvette / Nous ferons tous deux des galipettes
Nous fumerons la pipe en cachette / Nous irons ensemble à la buvette
Nous nous gaverons de pâtisseries / Nous ferons tout ce qui est interdit »
Rêves secrets d’un prince et d’une princesse (Peau d’âne)
« Nous sentirons l’essence toute la journée, quel bonheur ! »
Deneuve à son fiancé dans Les parapluies de Cherbourg
Et, pour le plaisir de l’allitération :
« Les marins sont bien plus marrants que tous les forains réunis »
dans Les Demoiselles de Rochefort.
Toujours dans les Demoiselles le fameux calembour, « j’irai en perm à Nantes », et comme une prémonition, l’assassin d’une jeune fille, danseuse légère, Lola (clin d’œil à son premier court métrage) qui la découpe en morceaux répond au patronyme de… Dutroux.
Pas mièvre
N’en déplaise à ses détracteurs qui le qualifient de mièvre, Demy demeure un OVNI dans le paysage du cinéma français et même mondial. Il arrive à peindre la tragédie en rose dans Les parapluies de Cherbourg, les jeux de l’amour et du hasard en technicolor dans Les demoiselles de Rochefort. Son œuvre est une comédie humaine pop, car à l’instar de Balzac, certains de ses personnages sont récurrents. Chaînon manquant entre le cinéma d’auteur et la culture populaire, entre la comédie musicale à l’américaine et l’opérette (qui le fascine depuis son enfance nantaise), il a réussi l’exploit de mettre d’accord la critique et le public. Dans notre pays où l’on n’aime rien tant que les classifications et les étiquettes, c’est rare et mérite d’être souligné !
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Il est également un virtuose de la photo, des dialogues, de l’utilisation du noir et blanc ou de la couleur, et de la lumière qui se fait douce éblouissante ou crépusculaire, selon ses films.
Son utilisation répétitive du papier peint le démontre : Jacques Demy est aussi un maniaque du détail. Une des robes de Deneuve dans les Parapluies est assortie au papier peint de sa chambre. Celui d’une Chambre en ville fait écho à celui des Parapluies, son pendant sombre. La liste est infinie, « je pourrais vous en parler jusqu’à demain ».
Tout cela servi, bien sûr par la magistrale musique de Michel Legrand.
Lola, Les Demoiselles, Peau d’âne…
Lola, son premier long métrage, est la genèse de la vaste constellation d’astres lumineux de Jacques Demy. Toutes les obsessions du corpus demyesque y sont déjà présentes. Nantes, sa ville filmée en un noir et blanc lumineux, Lola la danseuse légère, fille-mère (elles sont nombreuses chez Demy) interprétée par la magnifique Anouk Aimée, mutine et virevoltante, tellement plus intéressante que chez Lelouch.
Lola qui attend son aventurier parti faire fortune en Amérique, Lola qui danse dans un tripot : « celle qui dit v’là un bateau v’là un samedi v’là des matelots ». Son ami d’enfance qui se rêve aventurier et que l’on retrouvera diamantaire et amoureux de Deneuve/Françoise dans Les Parapluies. Le passage Pommeraye, chef-d’œuvre de la période haussmannienne, théâtre de toutes les passions et de tous les drames dans Une chambre en ville. Ce dernier film est le pendant sombre des Parapluies, la tragédie peinte en rose versus la tragédie grise aux accents raciniens. La sensualité trouble de Dominique Sanda s’oppose à la grâce candide de Deneuve. Les amoureux des Parapluies que la vie a séparés se retrouvent à la fin dans la station-service qu’ils ont rêvée ensemble, réunis sous la neige dans un des plus beaux plans du cinéma français.
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Ceux d’une Chambre en ville, la troublante Edith et le viril François meurent ensemble, leurs deux corps entremêlés. Un des rares films de Demy où règne une sensualité moite.
Les Demoiselles, le chef-d’œuvre de Demy autour duquel gravitent les autres films est toujours l’éblouissant festival de couleurs, de scènes mythiques et de bons mots.
A part et complémentaires sont Peau d’Ane, considéré à juste titre comme le second chef-d’œuvre et Parking, considéré peut-être à tort comme raté. Peau d’Ane est féérique, le conte de Perrault est magnifié pour l’éternité. Parking est une maladroite interprétation du mythe d’Orphée. Francis Huster en pop star n’est pas très convaincant et les chansons sont insipides. Cependant, il y a un magnifique travail sur la lumière, grise transpercée de rouge, sur l’atmosphère certes connotée années 80, mais que je qualifierais de mediévalo-industrielle. Et Jean Marais en Hadès et Marie-France Pisier en Perséphone méritent à eux seuls un visionnage !
Telle est mon hagiographie que d’aucuns pourraient trouver sans nuances ! Mais voilà, Jacques Demy fait partie de ces artistes qui m’ont aidée à vivre.
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