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L’agnostique qui frappe aux portes ouvertes

Entretien avec le poète Jacques Darras 


L’agnostique qui frappe aux portes ouvertes
Jacques Darras photographié à Abbeville. DR.

Le poète et écrivain Jacques Darras sort un long poème, Je m’approche de la fin, constitué de douze chants de dix-huit vers qui gigottent entre révolte, espoir et lucidité. On pense parfois à Ezra Pound. Une poésie intense, libre et profonde. Le livre se termine par un cri de joie : « Tout est possible ! » Il s’en explique.


 « Une audace musclée »

Causeur. Le titre du recueil est assez pessimiste. Pourquoi ?

Jacques Darras : Je répondrais avec une sorte de subterfuge car il y a « m’approche », m apostrophe, c’est-à-dire le réflexif. Je m’approche de la fin ; bien entendu, il s’agit de la mienne. Je n’ai pas l’outrecuidance de m’excepter du troupeau humain, mais je m’approche de la fin en général, non pas de la fin de vie, mais de la fin des fins, la fin dernière, et de la notion de fin. Donc, j’interroge ça en disant : « Je ne suis pas plus avancé que quiconque, ni moins avancé. » Et je me dis à quel point il y a assez peu d’intérêt pour ce stade final. J’y pense avec énormément de vigueur, et d’une certaine façon en me cabrant contre l’injustice – ou ce qui nous apparaît comme une injustice et qui n’en est peut-être pas une – et j’ouvre toutes les possibilités qui s’offrent à la fin. Nous ne savons pas si ça se ferme ou si ça s’ouvre. Je veux laisser les choses ouvertes.

Envisagez-vous cette fin avec sérénité ou inquiétude ?

Je dirais avec une certaine audace musclée.

Avec une certaine curiosité ?

Oui, avec une certaine curiosité ; la curiosité a toujours été mon maître mot. Sérénité, oui ; l’audace musclée est une sorte de sérénité. Je n’ai pas peur de disparaître ; je n’ai pas peur de poser la question terminale. Sans savoir y répondre mais quand même : je pense qu’il faut se la poser, et la poser de façon générale. On peut considérer que ça va de soit ; en effet, on n’y peut rien certes, mais on peut tenter de pousser des portes qui paraissent secrètes, inaccessibles ; j’y vais, quoi…

Avec l’espoir d’un au-delà ? Êtes-vous croyant ?

Tout mon livre repose sur la dialectique du savoir et du croire. Les gens qui disent qu’ils ne croient à rien, je leur réponds : « Si, vous croyez à votre croyance. Vous croyez que le non savoir est plus important que le savoir même. » On ne sait rien ; personne ne sait rien. A partir du moment où l’on ne sait rien, on ne peut pas prétendre savoir.

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Donc, le doute vous habite ?

C’est un doute suspensif absolu mais qui, en même temps, laisse ouvertes toutes les possibilités. La dernière phrase de mon livre (que mon héros dit puisque je suis en quelques sorte le héros de l’ouvrage) est : « Tout est possible ! » Ne fermez surtout pas les portes.

Il s’agit donc d’une manière d’agnosticisme.

Oui ; je suis une sorte de chrétien (car j’ai été converti à l’âge de 21 ans) mais je suis aussi anticlérical ; je n’ai pas de sympathie pour les Eglises quelles qu’elles soient, dans leurs structures meurtrières, mais je ne méprise pas pour autant la notion de la croyance.

Malaise dans la plaine

Quelle est la structure de ce livre ?

Il y a douze chants de huit chapitres, tous de la même longueur et qui racontent l’histoire de ce qui m’est arrivé (aux chants quatre et cinq) ; c’est un événement réel, véritable. Je me suis mis en scène en m’écroulant dans la plaine, très tard le soir ; j’étais quasiment mort. Et j’ai été secouru, puis sauvé d’une façon inouïe. C’était en 2018.

S’agissait-il d’un malaise ?

Mon pacemaker m’a lâché. J’ai été secouru par La Providence, avec un L majuscule, dans un endroit où personne ne passe jamais. Cette dame passait en voiture ; une grande dame. J’étais complètement sonné et je ne lui ai pas demandé son nom. Je ne la connais pas ; tout mon poème tourne autour de ça. Cette dame m’a d’abord transporté chez moi, puis je suis allé à l’hôpital.

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C’était où, précisément ?

Chez moi, entre le cimetière et le village, entre Chantilly et Senlis. À 800 mètres du village, dans un chemin de terre où personne ne passe habituellement.

À quels poètes avez-vous pensé en écrivant ce livre ?

À aucun poète ; mon éditeur m’a dit que ça lui rappelait Les rêveries d’un promeneur solitaire, de Jean-Jacques Rousseau. Ce dernier est renversé par un chien qui lui fonce dans les quilles ; il se réveille et retrouve le monde comme il ne l’avait jamais vu. Sinon, je n’ai pensé qu’à moi, mais pensant à moi, j’ai pensé à tout le monde. Tout le monde, un jour ou l’autre, s’est interrogé sur la fin, sur l’après, sur l’après fin.

Vous travaillez sur d’autres textes actuellement ?

J’ai cinq textes en préparation. Des poèmes romanesques. J’ai eu un bon article hier dans Le Monde des livres, page 91 ; très très bon article de Nils C. Als qui s’occupe de la poésie pour autant que Le Monde s’occupe de la poésie.

Je m’approche de la fin, Jacques Darras ; Gallimard ; 130 p.

Je m'approche de la fin: poème parlant pensant dansant

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  1. https://www.lemonde.fr/critique-litteraire/article/2025/01/19/les-breves-critiques-de-la-rentree-litteraire-d-hiver-alain-badiou-et-pascale-fautrier-eric-chauvier-celine-lapertot-raphael-meltz_6505946_5473203.html ↩︎




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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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