Le nouveau livre de Jacques Damade, Du côté du Jardin des plantes, remonte aux racines du Muséum d’histoire naturelle et de son jardin botanique. Une promenade inspirante.
Jacques Damade est écrivain et éditeur. Il a fondé, il y a une vingtaine d’années, une maison d’édition assez classieuse, repérée et recherchée, les Éditions de la Bibliothèque : son catalogue affiche aussi bien Remy de Gourmont, Léon Bloy ou Villiers de l’Isle-Adam, que Bossuet, une étude sur Verlaine, une autre sur Chateaubriand, Jean Lorrain, l’abbé Raynal, Joachim Sartorius, Pierre Lartigue ou Fabrice Hadjadj. Il a, en outre, depuis une dizaine d’années, initié la collection « L’ombre animale », dédiée à un thème qui lui est cher – sans être aucunement un effet de l’époque.
Il a commencé par rééditer La Forme animale d’Adolf Portmann (que les connaisseurs comme Élisabeth de Fontenay tiennent pour un classique du genre), puis Buffon ou Pline l’Ancien (Des animaux).Et lui-même, comme écrivain, a alimenté cette collection : d’abord en consacrant un ouvrage aux Abattoirs de Chicago, puis à Darwin au bord de l’eau, qu’il prolonge aujourd’hui avec un « cabinet de curiosités littéraires » consacré au Jardin des plantes-Muséum d’histoire naturelle.
Jacques Damade est aussi l’un des connaisseurs les plus avisés de Paris. Pour les curieux, se reporter à son catalogue – en particulier, une petite merveille, Paris 1860 : les Tableaux parisiens de Baudelaire illustrés par 19 gravures du légendaire Charles Meryon (1821-1868). Il a lui-même commis un délicieux petit essai sur les Îles disparues de Paris (une dizaine d’îles encore, au temps d’Henri II).
Son dernier livre, Du côté du Jardin des plantes, conjugue deux de ses passions : Paris et le monde vivant. D’abord Paris – et le Muséum d’histoire naturelle, la fondation de sa ménagerie. Il ressuscite la figure tutélaire (et méconnue) de Bernardin de Saint-Pierre (l’auteur de Paul et Virginie), dernier intendant du Jardin nommé par Louis XVI et rédacteur, en décembre 1792, d’un « Mémoire sur la nécessité de joindre une ménagerie au Jardin national des plantes de Paris ».
Autre figure importante tirée de l’oubli : Geoffroy Saint-Hilaire, nommé à 21 ans professeur – chaire de zoologie, chargé des mammifères et des oiseaux – au nouveau Muséum national d’histoire naturelle créé en juin 1793 : « le Jardin des plantes devient (alors) le Muséum d’histoire naturelle » (l’architecture vitrée des grandes serres date des années 1830). Et on croise au fil des pages d’autres personnages illustres : Chaumette, Lakanal, Cuvier, Lacépède, Daubenton, Lamarck, etc.
Damade se balade et évoque les controverses qui ponctuent la fin du xviiie et le xixe siècle. Du côté du Jardin des plantes est un plaidoyer en même temps qu’une balade avec d’éminents compagnons : certains sont des scientifiques de laboratoire (Cuvier), d’autres (Humboldt, Geoffroy, Darwin, Wallace…) vont sur le terrain, voyagent, sont des « naturalistes-scientifiques-explorateurs » (Geoffroy fait partie des 160 savants embarqués par Bonaparte lors de l’expédition d’Égypte).
Le Jardin-Muséum restitue une vision de la science, ses collections révèlent l’état d’esprit qui a présidé à leur constitution : d’abord la curiosité, l’ouverture au monde vivant (et à son unité) : « La ménagerie de la Révolution ne distingue pas l’histoire des hommes de celle des animaux chacune de son côté, et nous montre comment elles voisinent dans un même monde. »
Cuvier (1769-1832), dans son laboratoire, ne comprend rien à Humboldt (1769-1859), le naturaliste-voyageur. Si la science moderne est « du côté de Cuvier », Damade est résolument du côté de Humboldt, et le Muséum aussi : « Le Muséum d’histoire naturelle avec sa ménagerie, ses herbiers, son accueil des explorateurs a toujours eu le souci de présenter la faune et la flore en leur extension ; sa démarche scientifique va à la rencontre de Portmann et d’Humboldt et garde ses distances envers la prééminence du moléculaire. Il privilégie l’animal vivant et la plante dans leur élément. » D’où ce livre inspiré et habité illuminé par les dessins poétiques de Vincent Puente, qui est tout à la fois l’évocation historique d’un lieu magique de Paris, et défense et illustration d’une certaine conception du monde animal, humain – en un mot : vivant.
À lire
Jacques Damade, Du côté du Jardin des plantes, La Bibliothèque, 2022.
À lire également
La première édition intégrale du fameux récit d’Alfred Russel Wallace (compère offusqué par l’ombre de Darwin), L’Archipel malais : berceau de l’orang-outan et de l’oiseau de paradis, récit de son voyage – huit ans ! – dans l’archipel indonésien. Aux éditions Plume de Carotte, 2022.
Et aussi : collectif, Manifeste du Muséum : aux origines du genre, bilingue anglais, Reliefs, 2022.
Et enfin : La Terre, le vivant, les humains : petites et grandes découvertes d’histoire naturelle (dir. Jean-Denis Vigne et Bruno David), La Découverte, 2022.