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Chirac, le dernier président dont je n’ai pas eu honte

Les années Chirac de Jérôme Leroy


Chirac, le dernier président dont je n’ai pas eu honte
Jacques Chirac en 1988 © Jean-Daniel LORIEUX/SIPA Numéro de reportage: 00611218_000004

De mes années Chirac, je veux quand même garder deux choses…


Je n’aurai jamais voté pour lui et pourtant, il est le seul homme de droite que j’aurai aimé. Et il est le dernier président en date dont je n’ai pas eu honte. C’est important, ça, tout de même, l’air de rien. J’ai eu honte de Sarkozy avec le ministère de l’identité nationale et les courbettes atlantistes à Bush quelques jours après son élection, j’ai eu honte pour la nuit du Fouquet’s et pour le discours de Grenoble et pour tant de choses encore.  Quant à Hollande, qui a passé un quinquennat à se prendre les pieds dans un tapis qui n’existait pas, à préparer le lit de Macron en faisant passer son social-libéralisme pour de la social-démocratie, empêchant durablement la possibilité de revoir aux affaires une gauche de transformation, n’en parlons pas ! Et j’ai honte de Macron pour sa répression des gilets jaunes, une politique qui supprime l’ISF tout en réduisant les APL, et sa manière de prendre en otage le mot progressisme pour masquer sa politique fondée sur le démantèlement de la France sortie du programme du CNR qui s’appelait « Les Jours Heureux. »

Je n’ai jamais voté pour lui

Non, je n’aurai jamais voté pour Chirac. Je n’ai pas voté pour lui en 1995, et je me demande encore comment j’ai fait. Il y avait des phrases dans ses discours comme « La fiche de paye n’est pas l’ennemi de l’emploi» ou « Il faut refuser le système qui conduit à privilégier les revenus du capital financier au détriment de ceux du travail. » En face, Lionel Jospin me faisait l’effet d’un prof de maths un peu triste qui voyait l’Europe comme la seule solution à nos problèmes. C’était l’époque où Chirac parlait de la fracture sociale. Ensuite, l’attelage baroque de Séguin le gaulliste social et de Madelin le libéral s’est dissous dans le juppéisme qui n’était jamais qu’un jospinisme de droite. Il n’y aurait pas d’ « autre politique » et on est toujours en train d’en souffrir.

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Je n’ai pas voté pour lui non plus en 2002, j’ai voté blanc. J’étais furieux. Furieux que la gauche plurielle ait explosé en vol, furieux de voir que j’étais pris dans les mâchoires d’un piège à con, furieux de l’antifascisme de bazar qui jouait à se faire peur pour justifier son vote pour un président de droite. Le dispositif avait de beaux jours devant lui : « L’extrême-droite contre n’importe qui ? Votez n’importe qui sinon, il y aura des camps de concentration partout. »

Chirac, dernier président avant le nouveau monde populiste

Sauf que Chirac n’avait rien fait pour faire monter le FN pendant sa campagne de 2002, rien du tout. Lui qu’on disait cynique, sur cette question-là, n’a jamais triché. Il n’a pas braconné sur les terres du FN pour mieux le faire monter comme l’a fait Sarkozy en 2007 et comme le fera Hollande quand il jouera avec la déchéance de la nationalité après les attentats de 2015. Et ne parlons pas de Macron qui a désigné d’office son opposition et d’une certaine manière institutionnalise un clivage bidon entre progressistes et nationalistes, aidé en cela par Mélenchon, de plus en plus populiste, qui oublie qu’il est de gauche en préférant opposer le peuple aux élites.

Chirac était un homme du monde d’avant. J’ai un peu parlé de lui avec Denis Tillinac, à une époque. Tillinac aimait Chirac parce que Chirac aimait les gens. Aimer les gens ne fait pas une politique, mais tout de même, ne pas se sentir agressé chaque matin ou presque par des présidents diviseurs et anxiogènes, ce n’était pas si mal.

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On pourra lui reprocher d’avoir voté oui à Maastricht, mais en même temps quand on voit les dernières métamorphoses du souverainisme, ça ne fait plus tellement envie, le souverainisme. En revanche, on ne lui reprochera pas d’avoir soutenu contre sa majorité Simone Veil en 74 avec un Giscard aux abonnés absents ou d’avoir voté oui à l’abolition de la peine de mort en 81.

Aucune réforme ne vaut mort d’homme

Et puis, de mes années Chirac, je veux garder deux choses. Essentielles à mes yeux.

D’abord, « Aucune réforme ne vaut la mort d’un homme » après la mort de Malik Oussekine, en décembre 1986. Ca sonne tout drôle à l’époque des gilets jaunes, non?
Ensuite, le discours de Villepin à l’ONU, en février 2003: on n’est pas allés mourir pour les néoconservateurs en Irak suivis par tout ce que l’Europe comptait de trouillards atlantistes.

Ne serait-ce que pour ça, et puis peut-être aussi pour un certain rapport aux plaisirs de l’existence, de la tête de veau à la poésie chinoise, j’oublie le reste. Il y avait des façons d’être de droite jadis qui semblent étrangement humaines aujourd’hui, quand on voit l’arrogance des petits marquis clonés du macronisme. Et, phénomène assez étrange, je me demande si ma tristesse ne vient pas du fait que Chirac le gaulliste ne s’est jamais avoué quelque chose je ne m’avoue pas non plus à moi-même : il était un social-démocrate, un vrai.

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