En septembre 2012, Jacqueline Sauvage a tué son mari violent. Ayant examiné la complexité de cette affaire, la justice l’a par deux fois condamnée à dix ans de réclusion. La mobilisation sur internet a transformé cette histoire douloureuse en croisade féministe. Imposant un récit simpliste faisant de l’épouse meurtrière une simple victime, des pétitionnaires bien conseillées ont réussi, en surfant sur l’air du temps, à arracher une grâce présidentielle à François Hollande. Une manipulation réussie.
Tout le monde connaît l’affaire Jacqueline Sauvage. Ou croit la connaître. Le 10 septembre 2012, peu avant 19 h 30, le téléphone sonne au centre départemental d’incendie et de secours du Loiret. Le pompier de service décroche. Une voix féminine prononce ces mots : « J’ai tué mon mari à La Selle-sur-le-Bied. » Elle vient en effet de tirer trois coups avec son fusil de chasse dans le dos de son mari Norbert, assis sur la terrasse de leur maison. Quelques heures plus tard, pendant que les gendarmes de Montargis interrogent Jacqueline, ses trois filles apprennent la nouvelle, mais son fils ne répond pas au téléphone. Deux des filles et le mari de l’une d’entre elles se rendent à son domicile pour le prévenir. Ils le trouvent mort, pendu. Le médecin légiste constatera plus tard que le suicide a précédé le drame de 48 heures.
Les réseaux sociaux ont transformé ce tir dans le dos en acte de légitime défense
Pour les gendarmes – comme pour tout le monde à l’époque – la femme au cœur de ce drame familial s’appelle Jacqueline Marot. C’est plus tard qu’elle reprendra son nom de jeune fille, Sauvage. Première transformation qui en annonce une autre : c’est sous ce nom qu’elle sera érigée en symbole de la cause des femmes battues par le jeu des médias, des célébrités et des politiques.
Cette femme a été jugée et condamnée deux fois à dix ans de réclusion criminelle, par six juges (trois en assises et trois en appel) et quinze jurés (six pour la première instance, neuf pour l’appel). Ses demandes d’appel et de libération conditionnelle ont été rejetées. Et pourtant, la France entière la considère seulement comme une victime, au point d’obtenir sa grâce. Comment le fossé entre la justice et l’opinion a-t-il pu se creuser autant ? C’est la médiatisation de l’affaire sous des formes inédites, à travers internet et les réseaux sociaux, qui a permis la réécriture d’une histoire douloureuse et complexe en fable manichéenne. Sauvage, une femme à la fois faible et forte, soumise et autoritaire, autonome et dépendante de sa relation conjugale, a tué son mari au moins trois heures et demie après qu’il l’a frappée. Dans le western qu’ils ont reconstitué a posteriori, les réseaux sociaux ont transformé ce tir dans le dos en acte de légitime défense.
C’est cette faille béante entre les multiples décisions de la justice et la légende médiatique qui a attiré l’attention d’Hélène Mathieu et Daniel Grandclément. L’enquête minutieuse de ces deux journalistes expérimentés (La Vérité sur l’affaire Jacqueline Sauvage, Stock, 2017) permet de saisir la complexité de l’histoire et de suivre le processus de sa réécriture médiatique. Faute d’accès au dossier, leur travail est notre source principale.
Jacqueline Sauvage ramène son mari à la maison en le menaçant d’un fusil
Le meurtre n’est encore qu’un fait divers local. En quelques articles publiés dans les jours suivants, La République du Centre plante le décor. Aisée, la famille Marot possède « une vaste demeure, comme beaucoup d’autres dans le quartier. Une grosse berline allemande est garée sous un appentis. Le jardin est impeccablement fleuri. Et le couple est membre du club local de chasse. » Mais, poursuit le journal, derrière cette façade paisible, « depuis des années, les violences conjugales faisaient partie du quotidien de cette femme de 65 ans. Les violences physiques semblaient monnaie courante dans la famille. » Le fils, racontent les voisins, a lui aussi subi des violences de la part de son père et époux de Jacqueline, Norbert Marot, « un caractériel, homme à la carrure impressionnante, qui exerçait une domination sur sa femme », laquelle a connu pendant quarante-sept ans de mariage « les coups et les humiliations ». On évoque sa tendance à boire beaucoup trop. L’histoire semble simple et banale : une femme martyrisée dès le premier jour de son mariage, des filles violées par cet homme monstrueux qui a poussé son fils au suicide et aurait sans doute tué sa femme Jacqueline si celle-ci ne l’avait pas devancé. Seule voix discordante, celle du maire de la commune Pascal Delion, qui évoque « une affaire compliquée ». Trois mots qui sonnent comme un avertissement face à l’emballement médiatique, pour l’instant strictement local.
Mais les enquêteurs découvrent rapidement des éléments dérangeants. Ainsi, une première révélation ébrèche le mythe de l’épouse martyre. En 1994, Norbert Marot a eu une histoire d’amour avec Laurence, employée dans sa petite affaire de vente de vin. Leur relation n’a rien d’une passade, car Norbert Marot quitte le domicile conjugal pour s’installer avec sa maîtresse. Après trente ans de mauvais traitements, on imagine que Jacqueline Sauvage aurait poussé un grand soupir de soulagement et se serait empressée de demander le divorce. D’autant qu’organisée et travailleuse, l’épouse gère les finances du couple et jouit de son autonomie financière. Or, Jacqueline fait tout pour récupérer son mari. Devant la maison de sa rivale Laurence, elle essaie de forcer le portail tout en l’insultant bruyamment. Prétendant avoir appris un an plus tôt (1993) que son mari avait violé leur fille cadette à ses 17 ans, Sauvage le ramène au domicile conjugal manu militari, le menaçant d’un fusil de chasse pour lui indiquer le risque qu’il encourt s’il recommence… Quelques jours plus tard, Jacqueline Sauvage attend Laurence devant sa maison, se rue sur elle et la frappe en hurlant. La jeune femme parvient à s’échapper en voiture, s’ensuit une course poursuite sur les routes du Loiret qui se termine à la gendarmerie où Laurence se réfugie. Plus de vingt ans plus tard, l’ancienne maîtresse de Norbert raconte à Daniel Grandclément que, malgré le conseil des gendarmes, elle a finalement décidé de ne pas porter plainte.
Quatre ans plus tard, en 1998, c’est encore Jacqueline qui crée la SARL familiale, une société de transport qui emploie tous les membres de la famille (sauf la fille aînée, qui a pris ses distances très tôt), à commencer par Norbert. Les affaires prospèrent, les Marot achètent des camions neufs et construisent un pavillon dans un lotissement de La Selle-sur-le-Bied. Là encore, Jacqueline s’occupe de tout : du foyer, de la société ainsi que de la construction de la nouvelle maison.
« En résumant l’affaire à l’extrême, de nombreux paramètres disparaissent et le verdict peut paraître choquant »
Mis bout à bout, ces éléments et bien d’autres – aucune plainte pour violence conjugale ou viol des filles n’a jamais été déposée – conduisent le ministère public à accuser Jacqueline Sauvage de meurtre avec préméditation, c’est-à-dire d’assassinat. Un crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité. On est loin du tableau dressé par La République du Centre en septembre 2012 ! Quelques mois plus tard, en octobre 2014, le procureur de la République décide finalement de renoncer à retenir la préméditation dans son réquisitoire devant la cour d’assises. Jacqueline Sauvage est donc condamnée pour meurtre sans préméditation et écope de dix ans de réclusion criminelle. Ce verdict raisonnable aux yeux des connaisseurs de l’affaire choque fortement l’opinion publique, dont la connaissance du dossier est plus que superficielle.
Commence alors la deuxième phrase de la médiatisation. Après la presse locale, les journalistes d’i-Télé prennent le relais. Ils parviennent à surmonter les réticences des filles Sauvage-Marot pour les interviewer en exclusivité. Face caméra, Fabienne Marot raconte son viol incestueux. Également interrogées sur France 3 Centre, les trois filles affrontent un journaliste qui met en garde les téléspectateurs. « Dix ans de prison pour avoir tué son mari violent qui abusait de ses filles et maltraitait son fils. En résumant l’affaire à l’extrême, de nombreux paramètres disparaissent et le verdict peut paraître choquant. Mais en examinant le procès de plus près, l’affaire Sauvage devient bien plus complexe. De nombreuses questions restent en suspens et peuvent expliquer la décision du jury », explique-t-il dans un article. Preuve de l’émotion croissante, le verbatim du procès publié sur le site de La République du Centre recueille des dizaines de milliers de clics ! Les internautes, d’habitude critiques de la « justice laxiste », prennent presque tous la défense de Sauvage.
Parmi les visiteurs du site, deux femmes vont jouer un rôle majeur. La première est Karine Plassard, une militante féministe de Clermont-Ferrand qui décide de soutenir la procédure d’appel de Jacqueline. La seconde s’appelle Carole Arribat, une Parisienne ayant fui quelques mois plus tôt le mari qui la battait, la violait et l’humiliait depuis six ans. Chaque histoire qui lui rappelle la sienne la bouleverse. Elle aussi décide de suivre l’affaire et d’attendre l’appel.
D’autres sont moins patients : une première pétition en ligne commence à circuler fin octobre 2014 sur le site 24.net. Elle appelle à faire « sortir de prison Jacqueline sauvage (…) pauvre femme (dont) bon nombre déjà pensent qu’elle a assez subi durant toute sa vie (…) ». Elle recueillera 27 000 signatures ainsi que des commentaires tels que « j’ai beaucoup de peine pour cette femme qui pourrait être ma maman » ou « à mon avis, c’est les juges qui devraient être en prison ». Cependant, à ce stade, tout le monde attend que la justice corrige ce que la justice a fait. L’agitation médiatique se tasse.
Sur Twitter, la correspondante de France Inter assume son parti pris pro-Sauvage
Un peu plus d’un an plus tard, le 1er décembre 2015, le procès en appel de Jacqueline Sauvage s’ouvre devant la cour d’assises de Blois. Une certaine Corinne Audouin le couvre pour France Inter. Ses tweets parfois virulents permettent à ses contacts de suivre l’audience quasiment en direct. Audouin et son public s’indignent de la prétendue dureté de la présidente Isabelle Raimbaud-Wintherlig avec Fabienne Sauvage, la fille de Jacqueline et Norbert, qui raconte son viol à la barre. Cependant, l’histoire de Fabienne soulève des questions. Elle dit s’être fait violer par son père, avoir fugué avant d’être arrêtée par les gendarmes, qui l’auraient giflée. Fabienne raconte avoir commencé un dépôt de plainte à la gendarmerie puis s’être ravisée, détruisant le procès-verbal dans sa fuite. Logiquement, la présidente trouve cette version des faits peu crédible. Aux auteurs du livre-enquête sur l’affaire Sauvage, elle explique : « Je suis dubitative. On vous passe des menottes pour une fugue alors que vous êtes mineure, on vous met une claque dans un commissariat… le témoignage de cette jeune femme n’était pas cohérent. »
Malgré le manque d’éléments objectifs pouvant corroborer la version simplifiée de l’affaire – une femme martyrisée, ses filles violées –, la journaliste de France Inter persiste et signe. Mieux, elle assume son parti pris : « Je reconnais que je suis sortie de mon rôle de journaliste. Mais j’estime que le chroniqueur judiciaire est une vigie. Quand la justice ne fonctionne pas comme elle devrait, on a le devoir de le dire. J’ai trouvé la présidente très rude avec les filles. » Et Corinne Audouin l’a dit dans des tweets sentencieux, plus susceptibles de faire pleurer dans les chaumières que de longs articles étayés. Le chroniqueur judiciaire local de France 3 Centre, Philippe Renaud, estime pour sa part que la magistrate a tout simplement fait son travail, son ton incisif n’ayant d’autre but que la recherche de la vérité.
Hélène Mathieu parvient à la même conclusion, tout en nuances : « Jacqueline Sauvage est à la fois dure et autoritaire selon certains témoins mais aussi “gentille” avec ses proches et soumise à la tyrannie de son mari. Ce n’est en tout cas pas une femme “sous emprise” selon le terme classique utilisé pour qualifier les femmes victimes de violence. » En prison, la faible femme se montre plutôt solide et ne se laisse pas faire par les autres détenues. Hélène Mathieu résume bien le fossé entre la réalité et sa perception par les internautes : « Jacqueline Sauvage possède une personnalité complexe. Mais les réseaux sociaux ne supportent pas la complexité ! »
Après le rejet de son appel le 3 décembre 2015, Sauvage bénéficie d’une immense vague de sympathie sur les réseaux sociaux. Cette troisième phase de la médiatisation fait passer le mouvement de soutien dans sa phase active, avec l’intervention des people, du garde des Sceaux et du président de la République, qui se solde par la libération de Jacqueline Sauvage.
Change.org constate que Jacqueline Sauvage est une pompe à signatures
Dès le lendemain matin du verdict d’appel, l’ex-femme battue Carole Arribat lance une pétition sur le site Change.org intitulée « Libération immédiate pour Jacqueline Sauvage », bientôt rebaptisée « Grâce présidentielle pour Jacqueline Sauvage ». En parallèle, à Clermont-Ferrand, Karine Plassard lit la transcription du procès en appel établie par Corinne Audouin (France Inter). La lourdeur de la peine, mais aussi le déroulement des débats et la rudesse des magistrats décrits par ces tweets la bouleversent. Elle lance à son tour une pétition sur Change.org. Entreprise à but lucratif dont le modèle économique dépend de l’audience des pétitions qu’il héberge, Change.org constate que Jacqueline Sauvage est une pompe à signatures. En deux jours, les deux appels sont signés par 15 000 personnes et largement relayés sur Facebook. Et contrairement à 24.net un an auparavant, Change.org prend les choses en main. Sa directrice des campagnes françaises appelle alors les deux initiatrices et leur propose de fusionner leurs deux pétitions. C’est chose faite quelques jours plus tard et Change.org se charge d’adresser le texte à 500 000 adresses mails identifiées comme sensibles à la cause des femmes. En vingt-quatre heures, le compteur commun affiche déjà 44 000 signatures et éveille l’intérêt de plusieurs associations féministes. C’est alors qu’une troisième femme, Véronique Guegano, contacte Karine Plassard pour organiser une manifestation de soutien à Jacqueline Sauvage. La comédienne Éva Darlan, qui bouillonnait depuis le verdict de Blois, est recrutée comme figure médiatique. Suivent Anny Duperey, Nathalie Baye, Guy Bedos, Véronique Sanson, Jean-Jacques Bourdin, Jean-Michel Aphatie…
Le 12 décembre, une trentaine de manifestants protestent devant le théâtre du Châtelet. Présente, la fameuse responsable de Change.org brandit une pancarte affichant le chiffre de 80 000, le nombre de signataires au compteur ce jour-là, sans s’apercevoir, visiblement, qu’il y a une sacrée différence entre le militantisme virtuel et la mobilisation réelle… Relayé par des chaînes d’info, l’événement n’attire qu’une poignée de gens, mais suscite 80 000 clics. Sur la toile, le mouvement s’accélère. Change.org redonne un coup de pouce le 19 décembre en sortant une botte secrète : une liste de 1,6 million d’adresses mail de personnes qui « pétitionnent facilement ». La récolte est maigre – 30 000 signatures –, mais au siège de l’entreprise américaine, on est très satisfait de l’opération.
Profitant du mouvement enclenché, les deux avocates de Jacqueline Sauvage somment ses filles d’écrire au président de la République pour demander la grâce de leur mère. Une lettre accompagnée d’une clé USB contenant les 160 000 signatures de la pétition sur Change.org est expédiée à l’Élysée le 22 décembre.
François Hollande battu par les réseaux sociaux
Au Château, Gaspard Gantzer, le conseiller en communication du président, attire l’attention de François Hollande sur l’ampleur prise par l’affaire. La demande de grâce est immédiatement communiquée à sa conseillère justice Françoise Tomé. Au ministère de la Justice, le bureau des grâces se met en branle. Les experts étudient le dossier et émettent des avis plutôt négatifs. On est au mois de janvier 2016 et Christiane Taubira n’a plus que quelques semaines à passer Place Vendôme. Elle va démissionner le 27, et le sait peut-être déjà lorsqu’elle examine la demande de grâce. Aux deux auteurs du livre-enquête, elle explique : « Après avoir pris connaissance de tous les avis négatifs, mon Parquet me dit “on ne peut proposer qu’un avis négatif nous aussi”. Sauf qu’un garde des Sceaux, ça ne sert à rien si c’est pour faire comme les autres ! (…) J’explore les arguments et je prends tous les éléments en faveur du refus de la grâce et je les retourne (…) : il y a disproportion entre les coups reçus et les coups de fusil ? En effet, mais comment mesure-t-on la proportion ? Par rapport au dernier acte ou par rapport à toute une vie de violence ? Frapper une femme pendant quarante-sept ans, c’est la tuer à petit feu. » Ces propos étonnants suggèrent une méconnaissance totale du dossier, car personne ne prétend (même pas elle !) que Jacqueline Sauvage a subi « toute une vie de violence » ! Un petit indice révèle peut-être la source de la garde des Sceaux : l’expression « frapper une femme pendant quarante-sept ans ». Cette expression qui fait référence aux quarante-sept années de mariage (1965-2012) de Jacqueline Sauvage et Norbert Marot a été déjà utilisée par La République du Centre dans les premiers articles publiés sur l’affaire en septembre 2012. Ce mythe des quarante-sept ans de violence, habilement exploité par les avocates, est au cœur de la légende noire que véhiculent les réseaux sociaux.
D’un point de vue politique, la garde des Sceaux rend service à un président de la République affaibli par l’affaire Trierweiler et en quête d’un geste fort « pour les femmes ». Mais fidèle à lui-même, François Hollande se montre pusillanime. Ne voulant offenser personne, au lieu d’accorder la grâce ou la refuser, il décide d’opter pour une grâce partielle. Avec une peine réduite et l’annulation de la période de sûreté de cinq ans, Jacqueline Sauvage pourrait saisir le juge d’application des peines et sortir rapidement de prison. La décision est annoncée le 31 janvier 2016. Mais les choses ne se passent pas comme prévu : la justice rejette la demande de Jacqueline Sauvage, estimant que celle-ci persiste à se voir en victime sans comprendre la gravité de son acte. À l’Élysée, François Hollande s’agace de ce qu’il interprète comme un acte de défiance des magistrats. Le 28 décembre 2016, il finit par gracier totalement Jacqueline Sauvage, libérée le jour même.
Bilan des courses : ce que les avocats et les médias n’avaient pas réussi à faire, les réseaux sociaux (Twitter, Facebook), appuyés par les pétitions en ligne, l’ont obtenu. Quelques semaines de campagne intensive menées au nom d’une pseudo-légitimité démocratique ont fait rendre gorge à l’exécutif, qui a désavoué sa justice indépendante. Prenant le relais des médias classiques qui avaient commencé à faire de la ténébreuse affaire Sauvage un affrontement entre victime et bourreau, des vigiles du clavier, militants sans effort ni prise de risque, ont fabriqué une véritable fake news (quarante-sept ans de calvaire). Brouiller le message puis le diffuser sous la forme d’un buzz pris dans un flux numérique hystérique permet de mobiliser les professionnels de l’indignation – célébrités, politiques et journalistes nationaux. À coups de citations de citations, de commentaires de commentaires, le tourbillon des bons sentiments a soulevé les bas instincts populaires et recyclé l’ennui en militantisme. Jusqu’à tordre le bras de Hollande.
Hélène Mathieu et Daniel Grandclément, La Vérité sur l’affaire Jacqueline Sauvage, Stock, 2017.