Daoud Boughezala. Que pensez-vous de la « remise gracieuse de peine » dont vient de bénéficier Jacqueline Sauvage sur décision du Président de la République ? Sa condamnation aux assises n’était-elle donc pas méritée ?
Luc Frémiot. Je n’ai pas accès au dossier et il ne m’appartient pas de commenter une décision de la Cour d’assises. En revanche, par rapport à ce que je sais de ce qu’a vécu Madame Sauvage, aux années de souffrance qui ont été les siennes, je ne peux que me réjouir du fait que sa peine soit aujourd’hui réduite à de plus justes proportions.
Il y a quelques années, vous aviez requis l’acquittement d’Alexandra Lange, meurtrière d’un mari qui la battait depuis dix-sept ans. Cette affaire est-elle comparable au cas de Jacqueline Sauvage ?
Les cas d’Alexandra Lange et de Jacqueline Sauvage sont tout à fait différents. Alexandra Lange était en état de légitime défense. Son mari était en train de l’étrangler, le couteau se trouvant à proximité, elle s’en est saisi et a donné un seul coup qui s’est révélé mortel. En péril de mort imminent, elle a eu une réaction qui lui a permis d’échapper à cette issue fatale. Madame Sauvage n’était pas du tout dans un état de légitime défense. On ne peut donc pas comparer les deux affaires. Mais le parcours de ces deux femmes les rapproche : le calvaire et les violences qu’elles ont vécus pendant des années sont comparables. Dans l’affaire Sauvage, toute une série d’autres arguments est à prendre en considération, comme des circonstances atténuantes très fortes du fait de ce qu’elle a subi, mais pas la légitime défense.
Comme s’en inquiète notre confrère Régis de Castelnau, la campagne médiatique orchestrée autour de l’affaire Sauvage ne risque-t-elle pas de substituer une dictature de l’émotion au libre exercice la justice ?
Ce risque existe dans toutes les affaires très médiatisées qui retiennent l’attention de l’opinion publique. L’opinion raisonne en effet de façon affective sans tenir compte des détails du dossier, des éléments rassemblés par la juge d’instruction, de ce qui s’est passé à l’audience, du droit, etc. Tout cela échappe à l’opinion médiatique. Actuellement, je vois se profiler une dérive inacceptable: l’instauration d’une présomption de légitime défense pour les femmes victimes de violences conjugales. C’est une proposition de loi défendue par la députée Valérie Boyer à laquelle je suis complètement opposé. Cela reviendrait à dire à ces femmes – psychologiquement fragiles et en état de souffrance avancée – que la seule issue à leur calvaire consiste à tuer leur compagnon devenu tortionnaire. La réponse ne devrait jamais être le meurtre, mais de s’en aller, de se confier, d’aller déposer plainte. Instaurer une présomption de légitime défense équivaudrait à une démission des autorités, des institutions judiciaires et policières dans la mesure en leur disant : « Nous sommes incapables de vous protéger, protégez-vous vous-mêmes ! »
Il y a un peu plus d’un an, Causeur consacrait un numéro entier à l’autodéfense, révélant notamment la sévérité des juges qui craignent de cautionner la loi du talion et tentent d’entraver une dérive à l’américaine de la société française. Comment les magistrats distinguent-ils les cas de légitime défense des simples crimes ?
L’arbitrage se fait tout naturellement. Nous autres magistrats connaissons tous par cœur les éléments constitutifs d’une légitime défense. À ce niveau-là, je ne déplore de dérive ni dans un sens ni dans l’autre. J’aimerais rappeler que l’autodéfense est la négation du droit, une véritable forme d’anarchie sociale. En tant qu’avocat général représentant les intérêts de la société, j’y suis fermement opposé.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00739153_000014 .
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