Branle-bas de combat à Pékin: les dirigeants chinois ont décidé de mettre violemment au pas les milliardaires qui ont participé à l’explosion économique des vingt ou trente dernières années en Chine et en ont tiré profit à titre personnel. Le Parti communiste reprend la main partout et les dégâts vont être grandioses. C’est évidemment la meilleure nouvelle qui puisse venir ces temps-ci du mammouth communiste.
Ce sont les malheurs de Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, qui ont mis le feu aux poudres. Véritable génie des affaires et tycoon de l’e-commerce en Chine, devenu l’un des deux ou trois hommes les plus riches de l’Empire avec une fortune de 60 milliards de dollars selon un classement de Forbes, il avait littéralement disparu dernièrement pendant près de trois mois, après l’annulation surprise et à la dernière minute d’une énorme introduction en Bourse qu’il avait préparée pour l’un de ses conglomérats financiers. Une annulation ordonnée, selon le Wall Street Journal, par Xi Jinping lui-même. Résultat : alerte générale dans le monde des grandes affaires internationales.
Pour le Wall Street Journal, ce qui arrive est simple: «Xi Jinping veut ramener le secteur privé chinois dans le giron du Parti»
Surtout quand on rapproche les mésaventures de Jack Ma des étranges disparitions ces derniers temps d’autres capitaines d’industrie et d’autres milliardaires condamnés pénalement à de lourdes peines à partir d’actes d’accusation truqués et parfois fantaisistes. Ainsi de Lai Xiaomin, ancien PDG du conglomérat China Huarong, condamné à mort début janvier pour « corruption et polygamie », après avoir dû faire des aveux en direct à la télévision. De Wu Xiaohui, ancien boss de Anbang, mégaentreprise d’assurances, condamné à 18 ans de prison pour « corruption ». Ou de Ren Zhiqiang, multimilliardaire de l’immobilier, également 18 ans de prison, accusé d’avoir détourné des fonds pour assouvir sa passion du golf.
Une nouvelle politique répressive à l’encontre des nantis
Et quelques autres géants de l’industrie, du commerce et de la finance tels que Hu Huaibang, ex-numéro 1 de la Banque chinoise du développement, condamné à la prison à vie, toujours pour corruption, ou Guo Guangchang, patron du conglomérat Fosun, propriétaire entre autres du Club Med, disparu curieusement pendant quelques jours il y a six ans (il devait servir de cobaye alors), ou Sun Dawu, président d’un consortium géant dans l’alimentaire, Dawu Group, arrêté en novembre dernier pour avoir critiqué les autorités locales sur le réseau social Weibo. La conséquence immédiate de cette nouvelle politique répressive à l’encontre des nantis du système est que nombre d’entre eux se sont mis à quitter le territoire chinois, comme avaient pu le faire il y a quelques années certains oligarques russes qui avaient pu déplaire à Vladimir Poutine.
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Il est clair que les communistes chinois du sommet, après plusieurs décennies de développement économique forcené, veulent maintenant pouvoir tenir en laisse leurs génies du business auxquels ils avaient laissé jusqu’à présent toute latitude de copier le monde libre et de s’y jeter en concurrents féroces de l’Occident. La prééminence du Parti est de nouveau serinée partout. Les entrepreneurs sont ciblés, qu’ils soient ou non coupables, et leurs affaires instruites rapidement avec de lourdes peines de prison à la clé, du moment qu’il s’agit de faire un exemple ou de mettre la main sur des entreprises juteuses sans qu’il ne soit jamais question, bien entendu, de droits de l’homme. La lourde patte du mammouth chinois s’abat maintenant sans peur et sans retenue.
Tous les moyens sont bons, même les plus sauvages
Qui pourrait imaginer qu’une autorité judiciaire suprême dans le monde libre, par exemple aux États-Unis, sous le seul prétexte qu’ils ont trop bien réussi, décide de mettre en prison pour longtemps Larry Page, fondateur de Google, Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook) ou Elon Musk (Tesla) ? Pour le Wall Street Journal, ce qui arrive à leurs collègues milliardaires est simple : « Xi Jinping veut ramener le secteur privé chinois dans le giron du Parti », et comme on est en Chine dans un pays communiste à l’ancienne, tous les moyens sont bons, même les plus sauvages. La présence de cadres du Parti est déjà obligatoire dans les entreprises privées d’une certaine taille, et on n’est qu’au début, apparemment, de cette gigantesque marche arrière. Après le « grand bond en avant » de Mao Zedong au XXe siècle, voici le « grand bond en arrière » de Xi Jinping au XXIe !
La roue va maintenant tourner méchamment pour les capitalistes chinois, qui risquent de devenir des girouettes entre les mains de fonctionnaires incompétents et vindicatifs – qu’on se rende compte de ce que peut être un milliardaire pour un communiste ! – et la cible permanente de la vindicte populaire organisée officiellement par le Parti. Les communistes font ça très bien et depuis toujours, pour un résultat final inéluctable : la faillite économique et la chute d’un système intenable, comme ce fut le cas en Russie soviétique. Le mur de Berlin a fini par tomber et la muraille de Chine n’est pas forcément éternelle.
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La France, nouvelle terre d’accueil des déshérités de l’Empire chinois?
Qui peut penser qu’on puisse révolutionner le monde et entrer dans l’histoire sans une totale liberté de création, comme ont pu le faire Bill Gates ou Steve Jobs, partis de zéro ? Pour les dirigeants du Dragon rouge qui avaient un besoin vital de sortir leur 1,5 milliard d’habitants de la pauvreté et d’un Moyen Âge qui paraissait éternel, il fallait employer les grands moyens en mettant de côté pour un temps la philosophie communiste du nivellement par le bas pour utiliser les recettes du monde libre. Le plus gros étant maintenant réalisé selon l’opinion du dictateur Xi Jinping, il faut donc revenir aux sources du communisme pur et dur et se remettre à couper les têtes qui dépassent. Les vieilles méthodes de répression et d’anéantissement vont donc reprendre en Chine, ce qui ne pourra que profiter aux pays libres.
Pour en revenir à Jack Ma, ancien porte-drapeau de la caste des multimilliardaires chinois, ancien professeur d’anglais issu d’une famille modeste, homme simple et d’une grande gentillesse devenu génie des affaires et du numérique – en plus d’Alibaba, il a également créé Taobao, un e-Bay local, ainsi que Alipay, un système très original de paiement électronique, et Tmall, un giga-centre commercial virtuel… –, il se pourrait bien qu’on le voie maintenant plus souvent en France, s’il peut quitter la Chine, dans l’un de ses domaines viticoles de Bordeaux… Depuis son quartier général français, le Château de Sours, une grande propriété de 200 hectares autour d’une superbe bâtisse du xviiie siècle, Jack Ma gouvernerait en effet un ensemble d’une quinzaine de domaines dans lesquels il investirait massivement à long terme. Quelques milliardaires chinois comme lui, c’est exactement ce qu’il nous faudrait en France. On n’arrive plus à en fabriquer, à force de vouloir les taxer. Et si on mettait au point une solution attirante pour que la France devienne une nouvelle terre d’accueil des déshérités de l’Empire communiste chinois ?
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