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J.D. Vance: de la «white trash» à la White house?

Qui est vraiment le colistier de Donald Trump?


J.D. Vance: de la «white trash» à la White house?
Milwaukee, 18 juillet 2024 © Jae C. Hong/AP/SIPA

Trump a initié un nouveau nationalisme américain. J.D. Vance, son colistier et candidat à la vice-présidence, auteur à succès et jeune sénateur de l’Ohio, a montré sa capacité à lui donner corps idéologiquement en garantissant ainsi un avenir au courant «America First».


Qui se souvient des deplorables ? Pendant la campagne de 2016, Hillary Clinton avait lâché ce qualificatif méprisant à l’endroit la base électorale de Trump. Il visait les Américains moyens bouffis de ressentiments, de colère et de préjugés. Le terme a été par la suite brandi comme un étendard par les militants du candidat républicain.

Ploucs ou beaufs en France ; Deplorable, Redneck ou White trash aux États-Unis

En 2016, J.D. Vance se faisait anthropologue chez les Hillbillies, ces petits blancs américains vivant dans les Appalaches. Son ouvrage Hillbilly Elegy (2017) associait des souvenirs d’enfance à des réflexions sociologiques et politiques générales. Le témoignage était poignant : celui d’un enfant élevé dans une famille gravement dysfonctionnelle avec un père absent, une mère consommatrice d’opioïdes (médicaments antidouleur à l’origine d’une grave catastrophe sanitaire aux États-Unis) qui évolue entre cures de désintoxication et amants. Il y a un peu d’Eminem dans le parcours de l’auteur, qui aurait tout aussi bien pu devenir rappeur blanc dans les bas-fonds de la Rust Belt… Il s’en est sorti par miracle : diplômé de l’école de droit de Yale, il a aussi connu une grande carrière dans les affaires.

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L’auteur ne livrait pas seulement une autobiographie mais aussi une ethnographie. Ses Hillbillies, s’ils sont bien des Etats-uniens « de souche », ne s’identifient pas à l’élite souvent d’origine anglo-saxonne des côtes Est et Ouest mais aux  « millions d’Américains de la white-working-class dont les racines sont irlandaises ou écossaises ». Ils se souviennent des années 1950-1960, comme d’une parenthèse enchantée alors que la croissance industrielle et le Welfare state leur offraient des opportunités d’ascension sociale. Depuis, l’industrie lourde est partie, les hauts fourneaux ne fument plus et il reste à cette Amérique le ressentiment et la recherche de paradis artificiels ; on sait que près de 60 000 Américains meurent tous les ans d’insuffisance respiratoire provoquée par la surconsommation d’opioïdes. L’ouvrage fut bestseller et a servi de clef d’explication à l’élite cultivée américaine qui se demandait comment les États ouvriers traditionnellement démocrates ont pu offrir à Trump sa victoire surprise en 2016.

J.D. Vance a 39 ans et la rapidité de son ascension impressionne. Délaissant la plume et sa carrière dans les affaires, il se fait élire en 2022 sénateur de l’Ohio. Il n’a pas deux ans d’expérience politique dans les pattes et figure aujourd’hui sur le ticket présidentiel avec de sérieuses chances de devenir vice-président des États-Unis. Seul Barack Obama, élu sénateur en 2004 et président des États-Unis en 2008 a connu une ascension aussi rapide. « Après l’attentat manqué et l’élan de sympathie que cela a généré, Trump avait toute latitude pour choisir son vice-président » assure Nicolas Conquer, porte-parole des Republicans overseas France, organisation qui regroupe les citoyens américains expatriés en France, et ancien candidat LR-RN dans la Manche pour les législatives. Galvanisé par son statut de ressuscité après l’attentat auquel il a survécu, Trump pouvait faire un choix du cœur.

Meeting de JD Vance et Donald Trump, Columbus (Ohio), 23 avril 2022 © USA TODAY NETWORK/Sipa USA/SIPA

Pourquoi ce choix ? Après tout, J.D. Vance n’a rejoint que récemment son écurie. S’il était soutenu en 2022 par l’ancien président pour les primaires républicaines de l’Ohio (notre photo ci-dessus), M. Vance se positionnait en 2016 comme  « Never Trump », ces Républicains viscéralement hostiles au magnat de l’immobilier. Cette conversion est-elle seulement opportuniste ? « Il a eu des doutes. Il a su reconnaitre à Trump ses qualités de président. Pour le reste, les deux hommes sont très proches idéologiquement. Il est même sur une ligne moins modérée en matière de politique internationale », explique M. Conquer. J.D. Vance n’a jamais caché son hostilité aux livraisons d’armes à l’Ukraine, comme son souhait de voir l’Amérique retirer ses bases militaires de certaines parties du monde. Pour Nicolas Conquer, cette position est plus acceptable qu’il n’y parait aux États-Unis : « Aucun candidat à l’élection présidentielle, même parmi les démocrates ou les néo-conservateurs, ne se risquerait à faire campagne sur l’interventionnisme. Les Républicains se sont nettement convertis à l’isolationnisme et à la ligne America First. Ils veulent une Amérique forte capable de rayonner dans le monde sans être son gendarme ». J.D. Vance rappelle souvent combien la guerre en Irak a traumatisé l’Amérique profonde.

L’évolution du rôle des États-Unis dans le monde

J.D. Vance ne se contente pas de dénoncer la politique étrangère des prédécesseurs de Trump. Il élabore aussi de discours en discours un nationalisme américain en rupture avec l’universalisme traditionnel des élites politiques de son pays. Depuis Wilson et Roosevelt, jusqu’à Bush et Obama, les dirigeants américains avaient l’habitude de justifier leurs interventions militaires par la vocation missionnaire des Etats-Unis. L’Amérique ne se battrait pas seulement pour des territoires ou des intérêts, mais pour des idées. Elle défendrait sa conception de la liberté et offrirait au monde entier les droits garantis par sa Constitution. Dans cette perspective, l’Amérique n’admet pas de frontières : sa promesse vaut pour tous les hommes. « Oui l’Amérique est une idée. Elle a en effet porté de belles idées dès la fondation de notre pays » concédait M. Vance dans un discours devant un think thank conservateur ce mois-ci[1]. Mais selon lui, l’Amérique c’est aussi autre chose : « L’Amérique est une nation: c’est un groupe de personnes avec une histoire commune et un futur commun ». L’Amérique n’est pas seulement un projet proposé à tous les hommes sur terre mais aussi une nation avec un dedans et un dehors, des frontières, un point sur la carte possédant une culture, une langue et un folklore spécifique.

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Trump ne disait pas autre chose avec son programme articulé autour de l’America First. Vance se distingue par sa clarté idéologique et sa capacité à incarner cette position dans le champ intellectuel. Dans son discours à la convention républicaine, il n’a pas loupé l’indispensable séquence émotion et a raconté son Amérique, évoquant sa grand-mère qui possédait 18 armes à domicile, saluant avec émotion les dix ans de sobriété de sa mère enfin revenue de sa dépendance médicamenteuse. Qu’est-ce qu’être Américain, pour M. Vance ? Il l’a dit peu après lors de la convention :« Dans leur ossature, les Américains savent que l’Amérique est leur maison (…) Ils ne se battront pas pour des abstractions mais ils se battront pour leur demeure ».

 « On avait tous une interrogation. Comment ce mouvement MAGA, America first, allait-il évoluer après Donald Trump ? Or, des personnalités hors normes sont sorties du bois » se réjouit Nicolas Conquer. En propulsant J.D. Vance à la vice-présidence, un poste stratégique – à l’instar du président du Sénat en France, le vice-président américain est le successeur désigné en cas de décès du président ; et on le sait, la balle n’est pas passée loin ce samedi 13 juillet -, Donald Trump garantit en effet son héritage politique et assure l’avenir d’un nationalisme américain dont il aura été le premier promoteur. « On ne pourrait pas trouver de duo plus opposé et en même temps plus complémentaire. D’un côté on a quelque chose de tripal avec Trump ; de l’autre quelqu’un de plus cérébral et réfléchi », observe Nicolas Conquer. D’un côté l’intellectuel, de l’autre la bête de scène. Depuis 2015, l’ancien président a réussi à imposer ses thèmes par sa présence scénique, sa personnalité hors normes et son génie de la transgression. C’est sa force, mais aussi sa faiblesse : le trumpisme touche les masses mais est encore regardé et décrié par l’élite américaine comme une fièvre populiste sans cohérence intellectuelle. J.D. Vance saura-t-il donner corps à une vraie doctrine, et apporter la légitimité idéologique qui peut-être manquait à Donald Trump ?


[1] https://www.youtube.com/watch?v=yXH1p8_jhc8



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