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J Call, un appel pour rien


J Call, un appel pour rien
Barrière de séparation, Palestine. Photo Flickr / Filippo Minelli
Barrière de séparation, Cisjordanie
Barrière de séparation, Cisjordanie. Photo Flickr / Filippo Minelli

Il y a dix ans, ou même cinq, j’aurais sans doute apposé ma signature sous le texte www.jcall.eu qui invite les juifs d’Europe « impliqués dans la vie politique et sociale de (leurs) pays respectifs »[1. Et ceux qui sont résolument hors de l’implication politique et sociale du pays dont ils sont citoyens, ils n’ont pas droit à la parole ?] à demander à l’Union européenne de s’aligner sur la politique d’Obama pour tordre le bras à l’actuel gouvernement d’Israël et le contraindre à des concessions permettant, enfin, de mettre un terme au conflit israélo-palestinien. Quand on se réclame de la Raison avec un grand R (sinon de grands airs) on a tout de suite l’air plus sympathique que ceux qui invoquent le Très-Haut pour justifier un comportement banalement humain, c’est-à-dire obéissant plutôt aux principes de Hobbes qu’à la théorie du care chère à Martine Aubry. J’aurais signé, aussi, parce que je croyais encore, à l’époque que les pétitions enluminées de signatures prestigieuses d’autorités morales incontestées pouvaient influencer la marche du monde et remettre dans le droit chemin des gouvernants égarés par leurs passions. J’aurais signé, enfin, parce que la solution dite « deux Etats pour deux peuples » était la seule qui semblait avoir quelque chance de servir de fondement solide à un compromis historique entre deux mouvements nationaux se disputant la même terre.

Aujourd’hui, en dépit de la présence sur la liste des signataires de quelques bons amis, célèbres ou non, je n’ajouterai pas mon nom au bas de ce parchemin élaboré rue de l’Hôtel des Monnaies à Bruxelles, local du Centre communautaire laïc juif de la capitale belge, organisme oxymore qui rassemble la gauche juive du pays de Beulemans et du Manneken Pis.

Un titre anglophone ridicule

D’abord, je ne signe pas un appel qui se dote d’un nom anglophone ridicule, pour faire moderne et ratisser large. J Call !!! (prononcer Djé caule) c’est le nom d’un disk-jockey  où celui d’un club de rencontres coquines ? Un ami qui lit derrière mon dos ce texte en train de s’afficher sur mon Mac me signale que ce titre est un clin d’œil à ce fameux J Street, cette organisation de juifs américains qui ambitionne de faire concurrence à l’AIPAC, le puissant lobby pro-israélien de Washington. Eh bien, voilà une bonne raison supplémentaire de ne pas signer ce texte ! On peut, à la rigueur, justifier l’existence de J Street par le désir d’une partie minoritaire de la communauté juive des Etats-Unis d’appuyer la politique proche-orientale de Barack Obama face à l’AIPAC qui ne lui ménage pas ses critiques.

Or, pour autant qu’il existe une politique commune de l’Union européenne vis-à-vis du conflit israélo-arabe, il est difficile de lui faire le reproche d’un soutien systématique à la cause israélienne. Il suffit pour s’en convaincre, de reprendre tous les textes produits sur la question par la Commission, le Conseil ou le Parlement. S’il s’agit, pour J Call, de faire pression sur les instances de l’UE pour qu’elles adoptent le point de vue exprimé dans l’appel de Bruxelles, c’est vraiment enfoncer des portes ouvertes, vaincre sans périls et triompher sans gloire…

Les Israéliens, peuple souverain

L’Union européenne ne cesse, avec les moyens qui sont les siens, c’est-à-dire essentiellement des mesures économiques, de faire pression sur le gouvernement israélien, notamment en excluant du traité de libre échange entre l’Europe et Israël les produits provenant des implantations juives de Cisjordanie. C’est l’Europe, principal bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne, qui a si longtemps fermé les yeux sur la corruption des dirigeants du Fatah – l’ex-député européen PS François Zimeray[2. François Zimeray, proche de Laurent Fabius, a été « puni » par le PS en disparaissant d’une place éligible au Parlement Européen en 2003 (au profit d’Henri Weber !) parce qu’il s’était acharné à demander une commission d’enquête parlementaire sur l’usage des fonds communautaires par les dirigeants de l’Autorité palestinienne de l’époque d’Arafat. Il a été nommé ambassadeur chargés des Droits de l’Homme par Nicolas Sarkozy.] en sait quelque chose ! – que les islamistes radicaux du Hamas sont apparus comme les Messieurs Propre de la société palestinienne. Il existe à Bruxelles un Congrès Juif Européen, représentant les communautés juives du Continent dans leur diversité, y compris par rapport à la politique des gouvernements israéliens, dont la discrétion n’est pas synonyme d’inaction, notamment dans le domaine de la lutte contre l’antisémitisme.

L’accusation, répétée en boucle, de soutien systématique et inconditionnel à la politique d’Israël portée contre les dirigeants du judaïsme organisé dans les divers pays européens ne prend pas plus de consistance à force d’être martelée. Le peuple israélien, jusqu’à preuve du contraire, détermine librement ses choix politiques dans le cadre d’un système démocratique ni plus, ni moins imparfait que celui en vigueur dans nos diverses contrées européennes. Je peux ne pas être satisfait du résultat des élections israéliennes, et même en faire état publiquement en ma qualité de Juif de la diaspora. Je ne risque, ce faisant, aucun désagrément administratif, ni en France, ni en Israël. Mais de quel droit un organisme comme le CRIF, qui rassemble des organisations de toutes tendances serait autorisé à donner des leçons de conduite à un gouvernement démocratiquement élu ?

« Deux Etats pour deux peuples » : trop tard !

La pauvre gauche israélienne, celle qui animait, dans les années 1980 et 1990, le mouvement de la paix et les grandes manifestations pacifistes de Tel Aviv ou Jérusalem a été la principale victime de la deuxième Intifada et de son déferlement de terreur aveugle. Peu à peu, ses principales figures désertent la vie politique choisissant l’exil doré ou le monde, plus gratifiant, des affaires dans un pays étonnamment résistant aux ravages de la crise économique. Cette gauche israélienne hors-sol tente, pathétiquement, de s’appuyer sur ses amis de la diaspora pour donner l’illusion de son existence politique.

Elle a eu tort d’avoir raison trop tôt, en prenant pour argent comptant les propos modérés de ses interlocuteurs habituels palestiniens habituels.

Le texte de J Call oublie un élément essentiel de la situation actuelle du conflit : l’échec de Camp David et de Taba n’est pas l’effet d’une mauvaise gestion par l’une ou l’autre partie de cette négociation, palestinienne, israélienne ou américaine. La solution « deux Etats pour deux peuples » a raté en 2000 le coche historique, et l’Histoire, comme chacun sait, ne repasse pas les plats. J’aurais vraiment aimé pouvoir signer ce texte. Cela m’aurait rajeuni de dix ans et rendu quelques illusions sur la capacité des hommes de bonne volonté à surmonter les haines ancestrales. En revanche, s’il y avait, un de ces jours, un appel judéo-arabe émanant de la société civile proposant une solution adaptée aux réalités d’aujourd’hui, territoriales, économiques et politiques, il n’est pas impossible que je me laisse encore embarquer dans la procession des chenilles pétitionnaires…



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