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« J’accuse », le film de la réconciliation

Notre Affaire à tous


« J’accuse », le film de la réconciliation
J'accuse, Roman Polanski, 2019 © Guy Ferrandis / Gaumont

En mettant à l’honneur la figure du colonel Picquart, Roman Polanski a fait un choix judicieux. Le Français moyen se reconnaît dans cet officier aux préjugés antisémites devenu le défenseur du capitaine juif persécuté.


 

Aussi étrange que cela puisse paraître, J’accuse de Roman Polanski est presque le premier film français sur l’affaire Dreyfus. Presque, car en 1899, Georges Méliès a consacré un « docudrame » de 11 minutes à l’Affaire, à l’occasion du procès de Dreyfus devant le conseil de guerre à Rennes. Depuis, il y a eu un certain nombre de films américains ou anglais – et même un allemand – ainsi que quelques téléfilms français, mais le cinéma hexagonal ne s’est plus saisi de l’Affaire, comme si celle-ci était toujours un sujet brûlant. Cela rend le choix de Roman Polanski encore plus intéressant.

Ce choix repose sur une série de partis pris dont le résultat, si ce n’était l’intention, inverse la logique de l’événement historique. Si l’affaire Dreyfus divisait la France en laissant des blessures profondes, le film J’accuse tente de la transformer en source de fierté collective et en vecteur de l’unité nationale. Le pivot de ce tour de force est le choix de faire du colonel Picquart, superbement interprété, voire incarné par Jean Dujardin, le héros de l’œuvre.

Picquart, un héros « normal »

Cela n’avait rien d’évident. Plusieurs protagonistes de l’Affaire sont dotés de courage, de probité et de ténacité, et Polanski avait l’embarras du choix. Il aurait évidemment pu se fixer sur le capitaine Dreyfus. On sait maintenant, notamment grâce à la biographie monumentale de Vincent Duclert, que loin d’être la victime passive et dépassée des événements, Dreyfus était tout à fait à la hauteur de l’affaire qui a pris son nom.

J'accuse, Roman Polanski, 2019
J’accuse, Roman Polanski, 2019

Dans l’esprit du temps, et pour apaiser certaines colères vindicatives, Polanski aurait pu choisir une héroïne – Lucie Dreyfus, la femme du capitaine. Son rôle décisif dans l’Affaire ainsi que sa personnalité auraient sans doute permis de brosser un récit singulier de ces années dramatiques, où la France s’est dangereusement rapprochée à l’abîme. On peut ajouter à cette liste prestigieuse Bernard Lazare, le premier dreyfusard en dehors de la famille – c’est lui qui, dès le premier, use sous le titre « J’accuse » de la rhétorique de la litanie, adoptée plus tard par Zola. Le cinéaste aurait aussi pu jeter son dévolu sur Mathieu Dreyfus, frère et soutien indéfectible du capitaine.

Une Affaire classée

Polanski en a décidé autrement. Son héros est un officier français « normal » (Raymond Barre aurait dit « innocent ») : intelligent, cultivé, intègre, catholique, homme de son temps qui n’aimait pas les juifs, sans pour autant les haïr et qui avait une maîtresse. Autrement dit, le personnage parfait pour incarner l’armée française ou plus exactement l’autre armée française, comme il le dit dans le film : celle qui n’a pas peur d’admettre ses erreurs et fait le choix résolu de la vérité. Contrairement à Dreyfus, dont le nom est à jamais associé à la grande fracture française, à sa famille – des juifs naturellement – et à ses soutiens – des intellectuels et des hommes politiques et donc partisans –, Picquart est un héros fédérateur. Il a eu de surcroît la chance de mourir d’un accident de cheval avant la guerre de 14-18. Sa réputation n’a donc pas eu à souffrir du conflit mondial faucheur de vies et briseur de carrières d’officiers généraux, dont la mutation à Limoges fut si proverbiale qu’elle en devint verbe. Tout le monde, peu importe sa filiation politique ou ses préjugés, peut se retrouver autour de celui qui, sans aller jusqu’à le qualifier de « saint laïque » fut quand même un beau spécimen du mâle français en majesté, moustache et uniforme compris.

 

En son temps, le roi Louis-Philippe hérita (ou s’empara, c’est selon) d’une France divisée. Pour réunifier les récits postrévolutionnaires et établir ainsi une histoire nationale, il fit réaliser la galerie des Batailles au château de Versailles. Les gloires du xiie siècle y voisinent avec celles d’Azincourt, des guerres de la Révolution et de l’Empire. Il y est même question de l’attentat contre Louis-Philippe en 1835. Il s’agissait de rendre hommage à nos glorieuses armées sans remuer la boue de la politique partisane et des rivalités dynastiques ou religieuses. Avec J’accuse, Roman Polanski réussit la même gageure : l’Affaire Dreyfus peut désormais être classée monument historique. Et ce n’est pas une mauvaise nouvelle.

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Janvier 2020 - Causeur #75

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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