Le tout-Paris audiovisuel ne bruisse que de cette rumeur : à la rentrée prochaine, le duo infernal Zemmour-Naulleau pourrait être débarqué de « On n’est pas couché ». Priver une émission de divertissement grand public de ce qui en fait tout le sel intellectuel ? La riche idée que voilà ! Parce que c’est quand même grâce à ce duo de surineurs sournois que l’émission mérite son label « service public ». Mine de rien, ils donnent à penser − au moins à ceux qui sont appareillés pour. Qu’ils disparaissent, et il ne restera plus qu’un « Tout le monde en parle » en négatif, si j’ose dire : naïf et bien intentionné – et tout le monde ira se coucher…
Mais qui veut la peau de ces deux animaux (l’hippocampe et le saint-bernard) ? D’après mes sources (Le Parisien, Télécâble-Satellite, Voici et peut-être même Le Monde… à moins que ce ne soit Marie-Claire), le problème d’ennui, c’est tout simplement que les people ne sont plus très chauds pour venir. Ils se le répètent entre eux : « Tu verras, y en a un qui t’épingle comme un papillon, l’autre qui te massacre comme un bébé-phoque, et puis le premier qui revient t’achever… » C’est vrai que ça donne pas envie, la perspective de se faire scanner froidement par Zemmour, puis sadiquement décortiquer par Naulleau – et tout ça en gardant le sourire…
Sous leurs feux croisés, pas de place pour les prisonniers : juste des cadavres et quelques survivants (de nos jours on dit « résilients »). Les invités qui passent à leur(s) question(s) s’y soumettent en tant qu’écrivains, hommes politiques ou artistes – et en ressortent le plus souvent scribouillards, politiciens ou chanteurs de karaoké. Mais c’est là, précisément, que se trouve le « mieux-disant culturel » de l’émission. Avec leur flegme de tueurs à la Tarantino, mine de rien ils animent le débat, au sens où ils lui donnent une âme – au-delà des « bravo » et des « hou » convenus d’une salle qui elle aussi joue son rôle…
Soyons juste ! Suave mari magno… : il est plaisant pour le téléspectateur d’assister, bien calé dans son fauteuil, au naufrage d’un invité qui ne comprend pas ce qui lui arrive ni – pire ! – pourquoi. Maintenant, imaginez que vous ayez mis deux ans à accoucher d’un roman auquel vous accordez une importance toute particulière et plus d’une heure à trouver un éditeur (ou l’inverse) : vous aimeriez, vous, vous faire désosser en deux phrases par le boucher Naulleau ?
Les intellos et autres artistes « en promo » ont plein d’autres écrans télévisuels où aller se faire voir, sans craindre plus que quelques petits coups de patte de chats dégriffés… Quand on a pris l’habitude du copinage artistique, comment ne pas être douloureusement surpris de tomber sur ces rustres, et même pas de Goldoni : carrément méchants !
La liste commence à être longue, des invités qui ont mal supporté la tenaille naullo-zemmourienne. On a vu Catherine Breillat au bord de la crise de nerfs, saint Augustin Legrand égrenant son chapelet de gros mots, Jacques Attali quittant brusquement le plateau et même Roger Karoutchi choqué ! (Il faut dire que Zemmour avait cru déceler des traces d’électoralisme dans son coming out !) Mais il y a pire encore, susurre-t-on dans les milieux bien sussurés… De plus en plus d’invités pressentis déclinent sous les prétextes les plus divers : « débordé », « enrhumé », « en Laponie »… Ainsi Olivia Ruiz et Ségolène Royal, Sophie Davant et Dominique de Villepin − qui apparemment craint plus la confrontation avec le Zemournolo dans les arènes de Ruquier qu’avec les Etats-Unis à la tribune de l’ONU.
Mais c’est, paraît-il, l’incident du 25 avril dernier qui a mis le feu aux poudres. Ce soir-là, Francis Lalanne était venu vendre son « pamphlet poétique », Mise en demeure à Monsieur le président de la République (J.-C. Gawsewitch) et, pour le même prix, si j’ose dire, son nouvel album, Ouvrir son cœur. À dire vrai, le choc était prévisible entre ce méchant Janus qu’on nomme Eric(s) et l’artiste-citoyen en peau de yaourt. Le génie de ce Lalanne-là tient tout entier dans ses cuissardes d’anarchiste dandy et son catogan de bobo-concerné. Pour le reste, manifestement, son ego de géant l’empêche de penser, et accessoirement les autres de parler.
Tout a (mal) commencé avec Zemmour. Sollicité pour donner son avis sur l’opus du barde à queue-de-cheval, il balance avec un bon sourire : « Ça me fait penser à une phrase qu’aimait bien Chirac : « Là, on est en train d’enculer une mouche qui ne nous a rien demandé ! » » Aussitôt Lalanne la prend, cette mouche, et dénonce la grossièreté de cette attaque ad drosophilem.
Mais ce n’est encore qu’une escarmouche entre eux, une mise en bouche pour nous. Le pire est à venir, tant il est vrai qu’en matière de littérature et produits assimilés, le Grand Inquisiteur c’est quand même Naulleau… Et son réquisitoire n’est pas des plus cléments : « délit culturel » et « délire intellectuel », « vers de mirliton » et « niaiseries en stock », assène-t-il avec un bon sourire sadique.
C’en est trop pour le poète engagé, qui dès lors ne cessera de marteler un seul argument : on peut ne pas aimer mon œuvre, mais pas proclamer urbi et orbi qu’elle ne vaut rien. En pratique, la nuance rappelle très nettement l’aphorisme chiraquien sur la mouche et son sort tragique : t’as pas le droit de dire « c’est nul », « c’est pitoyable » ou « c’est n’importe quoi », faut préciser avant : « À mon avis à moi, je pense que… » Zemmour propose bien de porter dorénavant sur la poitrine la pancarte idoine ; mais Lalanne ne rit pas.
Le spectateur, lui, s’amuse bien – y compris à la fin, quand Lalanne dit qu’il ne regrette rien − sauf peut-être de n’avoir pas mis un coup de boule à Naulleau… Avec tout ça, quel avenir donc pour nos Muppets du Ruquier show ? Virés ou pas virés ? En février dernier, Catherine Barma (productrice du programme dont auquel) proclamait à la face du Parisien et d’Aujourd’hui en France réunis : « Les brimer ? Jamais de la vie. » Mais février, en temps médiatique, c’était il y a un siècle ; sans compter que, dans ce monde cruel de l’audiovisuel, il ne faut jamais dire jamais !
On observera d’ailleurs que Mme Barma s’est engagée à « ne pas brimer » ses singes un peu trop savants ; pas à les garder ! Mais au fait, qui est inquiet pour Zemmour et Naulleau ? C’est l’émission qui serait tuée par leur départ.
Post-scriptum à Naulleau : je sors un bon livre en novembre.
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