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L’enfumage IVG

Le choix est-il un droit?


Alors qu’Emmanuel Macron et Elisabeth Borne semblent condamnés à l’immobilisme, à cause d’une Assemblée nationale éclatée, l’exécutif a vu dans l’annonce de la Cour suprême américaine concernant l’arrêt « Roe vs Wade » une formidable opportunité pour détourner l’attention. Toutefois, graver l’IVG dans la constitution ne serait pas sans conséquences. Analyse.


La semaine dernière, un climat d’état d’urgence s’est abattu sur la France. Rien de nouveau : l’urgence, le danger, la catastrophe et sa cohorte de paniques et d’hystéries sont monnaie courante dans notre pays ! En particulier, depuis deux ans, on a découvert que la vie était une maladie mortelle dont on ne guérit pas, et la peur s’est révélée être une arme de gouvernement diablement efficace.

Un nouveau fléau guette les Français et plus particulièrement les Françaises : le droit à l’avortement se verrait compromis. Un décret ? Un projet de loi ? Une vague d’attentats terroristes perpétrée par des pro-vies ? Non. C’est aux États-Unis qu’il faut aller chercher la cause de ce climat de terreur. 

Les Françaises ne vivent ni au Texas, ni au Wyoming

Le 24 juin, la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer la jurisprudence « Roe v. Wade », qui garantissait le droit constitutionnel à l’avortement dans l’ensemble des États-Unis, a provoqué un tollé d’indignation. Il ne s’agit cependant pas de l’abolir, comme il a été entendu, mais d’en confier la gestion à chaque Etat, la plupart étant, il est vrai, assez conservateurs sur ce sujet. En France, les personnes disposant d’un utérus (je ne souhaite pas faire de discriminations ou être cataloguée parmi les TERF…) se sont regardées le nombril, en se demandant quel avenir serait désormais celui de leurs ovocytes, ignorant sans doute qu’elles ne vivent ni au Texas, ni dans le Wyoming.


Le président Emmanuel Macron a tweeté d’emblée que « l’avortement est un droit fondamental pour toutes les femmes », invitant, par la voix d’Aurore Bergé, chef de file des députés de la majorité présidentielle, à graver dans la constitution « le respect de l’IVG ». Elisabeth Borne s’est fendue d’urgence d’une visite dans un planning familial. La classe politique a usé de toute la palette du champ lexical de l’épouvante pour qualifier cette mesure, et la sororité féministe a pleuré le sort des Américaines et alarmé les concitoyennes sur la défense d’un droit qui n’est pourtant, ici, nullement menacé. L’édito du magazine Elle proclamait que le 24 juin était un jour de « deuil international pour la liberté des femmes », oubliant que sur cette épineuse question, le deuil est en réalité permanent, et qu’il est urgent que l’équipe de l’hebdomadaire se vête de noir tous les jours, car bien d’autres pays enfreignent la dignité et la liberté des femmes – et pas seulement en ce qui concerne l’avortement, comme si ce dernier était l’alpha et l’omega de la condition féminine. Par ailleurs, l’avortement est évidemment interdit dans de nombreux pays mais aussi imposé ailleurs parfois, comme en Inde où des femmes se voient contraintes d’interrompre une grossesse de mère porteuse, « travail » qu’elles ont choisi par misère, si le produit in utero n’est pas conforme. La liste des pays où le droit des femmes n’est même pas une question car elles sont invisibilisées et privées des prérogatives dont jouissent les hommes est longue, et certains exportent leurs us et coutumes ici, venant compromettre l’égalité hommes-femmes qui est, en France, constitutionnelle.

Abandon total de notre identité

Les réactions de la semaine dernière pointent toutefois du doigt un fait révélateur : le monde est américano-centré. Du moins le monde occidental, gorgé de mondialisation, répugnant à toute idée de frontières, et persuadé qu’il profite toujours du plan Marshall. Sortez vos mouchoirs, car quand les États-Unis éternuent, c’est nous qui toussons et prenons notre température. Sommes-nous donc devenus les vassaux de l’Oncle Sam, au point de s’alarmer dès qu’un évènement se produit aux Etats-Unis, craignant d’y être soumis à notre tour ? Sommes-nous à ce point infantilisés, pour nous aligner aux injonctions morales d’un pays auquel on obéit déjà aux velléités interventionnistes et dont le melting-pot et la culture influencent et inspirent déjà les pensées de nos élites et le mode de vie de notre peuple ? Il semble que oui. Par exemple, la majeure partie de nos lois converge déjà vers un fédéralisme européen. Alors ne mégotons pas et rêvons plus grand. La France a déjà la chance d’être une start-up nation, ajoutons une étoile au drapeau américain : « State of France », ça claquerait !

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C’est bien à l’aune de la déclaration de la Cour suprême américaine que se sont succédé les réactions de la classe politique. La REM propose d’inscrire urgemment dans la Constitution française le droit à l’IVG, alors qu’elle avait balayé d’un revers de main la même proposition soumise quelques années plus tôt par LFI, qui en réclame dès lors la paternité. Cette initiative rencontre au mieux un accueil favorable de la plupart des différents partis, au pire une invitation à la prudence (comme c’est le cas pour François Bayrou). L’antienne « mon corps m’appartient » refait surface, et la propriété étant un droit consacré par la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, tout cela, finalement, semble ne pas s’agencer si mal… La boucle est bouclée, circulez, il n’y a plus rien à voir ? Dormez bonnes gens, tout danger réactionnaire sera bientôt écarté ?

Femmes objets

Sauf que cette proclamation est pernicieuse et l’érection de l’IVG en droit risque fort d’ouvrir la boîte de Pandore d’une société déjà mortifère et consumériste. La sémantique n’est pas un hasard. Le corps ne peut pas être une propriété, il n’appartient à personne car il n’est pas un bien matériel ou immatériel – pas plus que ne pourrait l’être l’âme ou l’esprit. C’est d’ailleurs la ligne adoptée par le droit français, qui pénalise tout commerce relatif au corps.

Si mon corps m’appartenait, cela supposerait d’une part l’acceptation qu’il soit vu comme un objet, donc source de possession, d’autre part la reconnaissance du droit de tout corps à disposer de lui-même. L’être qui se forme à l’intérieur de la matrice, dès lors, à qui appartient-il ? A lui-même ? A la personne qui l’héberge ? A l’inséminateur ? Qui doit prendre la décision de le vendre, l’éliminer, ou l’exploiter (car on est bien d’accord que la propriété permet de disposer d’une pleine jouissance d’un bien) ? Il est paradoxal de constater qu’à l’heure de l’enfant-roi, celui-ci n’aurait donc pas ici son mot à dire, lui qui décide de tout par ailleurs…

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Pour perpétuer une société où la dignité de la personne humaine existe, il faut accepter, quoi qu’on en fasse et de quelqu’origine on la tire (divine, culturelle ou naturelle), qu’une part de nous-même nous échappe, que notre civilisation nous amène à une conception du corps faisant appel à une transcendance qui ne peut le réduire à un agencement d’organes, de muscles, de chairs, d’os et de cellules au risque d’en faire un instrument, une machine, un objet dévolu au mercantilisme et à la satisfaction des besoins primaires.

L’IVG n’est pas un droit, c’est une liberté

Si la loi française n’a pas intégré dans son bloc constitutionnel le droit à l’avortement, elle n’en a  pas moins consacré sa légitimité par le biais du Conseil constitutionnel qui, par jurisprudence, l’a garanti, soulignant simplement qu’il n’entrait pas en conflit avec les principes fondateurs de la République. Bref, il n’est pas anticonstitutionnel, ce qui ne veut pas dire qu’il doive devenir constitutionnel… En outre, la loi légalisant l’avortement, depuis 1975, date de son entrée en vigueur, n’a cessé d’évoluer, bien loin des vœux de sa porte-parole Simone Veil, allongeant à 14 semaines le délai légal et prévoyant en ce qui concerne l’IMG (Interruption médicale de grossesse, pratiquée dans des cas où la mère ou le fœtus serait atteint d’une affection grave et incurable), la possibilité d’avorter jusqu’à neuf mois – pour cause de détresse psychique, par exemple. Difficile de ne pas voir dans ces cas extrêmes et rares un infanticide, et surtout la porte ouverte à une conception de la vie inquiétante.

L’avortement n’est pas – en soit – un droit, il ne peut être conçu ainsi et ceci ne remet pas en cause son existence : il est une liberté, on oserait presque dire une tolérance, accordée aux femmes, d’interrompre pour les raisons qui n’appartiennent qu’à leur intimité une grossesse non désirée ou impossible de mener à terme. 

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Il interroge sans cesse la question de la vie, ce qu’elle est, ce qu’elle vaut et ce qu’est au sens biologique mais aussi philosophique, morale et juridique un être humain. Quand le devient-on, et quand cesse-t-on de l’être ? A ce titre, le débat sur la constitutionnalité de l’avortement est inséparable de la question de l’euthanasie et de la fin de vie. Il est plus que jamais d’actualité dans un monde comptable et administratif où on trie les malades quand on ne les fabrique pas. Il est incontestable que l’embryon est déjà une vie, une « virtualité d’être humain » comme le soulignait le discours de Simone Veil à l’Assemblée Nationale au moment où elle défendait la loi qu’elle portait, mais il est un être en devenir et chacun doit être et rester libre de ses convictions quant au bien-fondé de son action. A la croisée de la morale et du droit, la loi de 1975 tentait de concilier dans un équilibre périlleux la réalité de l’avortement, la détresse des femmes, la maîtrise de la procréation et en même temps la protection de l’embryon et de la vie. 

Inscrire l’IVG comme un droit dans la Constitution le dépouille de sa dimension d’intimité et de liberté pour la renvoyer à une forme d’impératif qui risque d’en faire – paradoxalement –  un droit pour les hommes de disposer du corps des femmes et de contraindre leurs volontés en invoquant non plus les droits en général mais le droit lui-même et les obligations qu’il engendre, leur permettant, par exemple de se défausser d’une paternité non souhaitée : « tu as un droit, tu n’as qu’à t’en servir, il est là pour ça ! Tu as un droit et tu ne t’en sers pas ? Mais tu n’as pas le droit ! ». Ce n’est pas sans rappeler le statut du paterfamilias à la romaine, qui peut exiger le droit de vie ou de mort sur l’être à naître… La fameuse pression sociale et patriarcale, invoquée à tout va, trouverait alors là une justification supplémentaire dans son exercice.

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Entre la crainte de l’eugénisme, la tentation de créer des premiers de cordée et celle de privilégier la vie dans ses formes les plus humbles, l’avortement touche les questions les plus délicates sur la vie, son origine et son sens. Dans cette perspective, c’est dans la profondeur des consciences et le secret des situations personnelles que doit se décider ce qui apparaît, quoi qu’il en soit, un choix souvent douloureux pour la plupart des femmes.

Il faut cesser d’invoquer Simone Veil à chaque fois que la question de l’avortement se repose en la faisant se retourner moult fois dans sa tombe. Elle-même avait pressenti les limites de la loi qu’elle avait portée au perchoir et perçu tout l’enjeu qu’elle poserait dans le futur : « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager. (…..) C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. » (Discours de Simone Veil à l’Assemblée Nationale le 26 novembre 1976)



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