Jean de Tinan (1874-1898) est un ovni du paysage littéraire. Repéré et adulé par un cercle d’initiés, il est cette année exhumé en grande pompe par les éditions Bartillat avec la parution coup sur coup de son journal intime inédit et d’une biographie exhaustive signée Jean-Paul Goujon, augmentée de nombreux documents et fac-similés.
Ce fils unique, solitaire ontologique, développa très tôt un talent pour l’auto-analyse. Son journal témoigne d’une sensibilité, d’un romantisme touchants pour un jeune homme de la Belle Époque, habitué des bordels et des filles faciles simplement parce qu’il désespérait de trouver une épaule sincère sur laquelle laisser couler sa tête et ses larmes. Tinan, de son vrai nom Jean Le Barbier de Tinan, est un orphelin par la force des choses : l’incompréhension s’installe dès le berceau entre lui et ses parents ; un collectionneur acharné qui n’a que peu de regards pour son fils et une mondaine frénétique ne songeant qu’à accrocher sa progéniture au bras d’une héritière. À bien y songer, Tinan serait plus exactement l’un des enfants précoces de Barrès, celui du Culte du Moi : vivre et sentir ne lui suffit pas.
Qu’il s’agisse d’un souffle de vent passé dans les arbres de l’abbaye de Jumièges ou de la chevelure mousseuse d’une fille de brasserie, il faut re-sentir, creuser, ressasser, épuiser le monde en en faisant de jolies guirlandes de vers et de prose. D’où une production littéraire impressionnante pour un si jeune auteur. En 1893, il prophétisait, peut-être par coquetterie, peut-être pas : « Je veux vivre intensément puisque je dois mourir jeune. »
Proche du Mercure de France et ami jusqu’à la fin de Pierre Loüys et des Heredia, on lui doit Un document sur l’impuissance d’aimer, l’emblématique Penses-tu réussir !, L’Exemple de Ninon de Lenclos amoureuse, Aimienne, ou le Détournement de mineure, entre autres journaux et notes, textes posthumes, inachevés, annoncés et jamais commencés, ainsi que quelques romans signés par Willy.
Vivre trop vite
Rongé par une maladie rhumatismale qui atteint son cœur, il s’épuise, travaille trop et vit trop vite. Tinan qui nous fait signe depuis l’autre côté du XXème siècle est la jeunesse dans ce qu’elle a d’universellement gracieux, naïf et bordélique. Dans sa dernière lettre à une amie de longue date, il inscrit la seule épitaphe qu’un gamin de 24 ans puisse assumer devant l’éternel : « Quelle vie !!!! »
« Quelle vie » aussi que celle de Nabilla Benattia, plus connue sous son seul prénom et par sa paire de seins siliconés surexposés sur les chaines de la TNT à l’heure où les ados rentrent du lycée. Consciente de son statut creux de starlette, la jeune femme de 24 ans, curieux reflet des ambitieux de son âge qui hantaient le milieu littéraire un siècle auparavant, se livre dans une autobiographie à son image, rédigée avec le soutien précieux de Jean-François Kervéan, Trop vite.
Elle raconte sans pudeur ni impudeur des histoires qui parlent aux enfants de ce temps, un divorce douloureux, le choc des cultures entre un père musulman pratiquant et une fille qui rêve de rouge à lèvres et des plages de Miami, la solitude, la télévision, l’argent facile, la chute également. La vie de Nabilla ressemble à un roman d’apprentissage trash. Quand elle trouve l’amour, c’est en la personne d’un candidat de télé-réalité avec lequel elle traverse la planète pour les besoins d’un tournage, Thomas Vergara, et ne le reconnait pas. Le monde dans lequel elle évolue impose le faux, les excès et les trahisons. Finalement, elle s’étonne elle-même et choisit l’amour, la passion même. Un soir de novembre 2014, alors que son couple est la proie des médias, une dispute dégénère dans un hôtel de Boulogne-Billancourt, elle attrape un couteau de cuisine et blesse Thomas, « sans le vouloir ». Au milieu des studios de télé, c’est une tragédie moderne qui prend forme. Direction la prison pour femmes de Versailles, le contrôle judiciaire qu’elle enfreint, la cavale et au bout de ce chemin chaotique, la maturité. Lucide, cette étoile filante n’attend désormais plus rien des projecteurs.
Elle aussi, à sa manière, parce qu’il n’en existe guère plus d’autre aujourd’hui, a grandi et vécu trop vite. Jean de Tinan, Nabilla, les sales gosses de leur génération ont quelque chose à nous dire de plus que les livres d’Histoire : ils racontent la douleur du choc frontal entre l’innocence sortie de l’enfance et un monde qui ne lui appartient pas, pas encore.
Jean de Tinan, biographie, Jean-Paul Goujon, Bartillat, 520 pages.
Journal intime, Jean de Tinan, Bartillat, 520 pages.
Trop vite, Nabilla Benattia, Robert Laffont, 260 pages.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !