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Ma campagne d’Italie

Petit tour de la péninsule entre touristes et migrants


Ma campagne d’Italie
Rassemblement de migrants place du Capitole, Rome, août 2017. Photo : Andrea Ronchini.

Récit de voyage dans une péninsule coincée entre migrants du Sud et touristes du Nord.


« Le comble du déracinement ? Sur les Champs-Élysées, j’ai entendu un accordéoniste rom jouer du Diam’s ! » Il y a une dizaine d’années, en écoutant l’un des habitués de mon estaminet favori deviser ainsi, je me figurais mal l’ampleur du désastre à venir. L’époque n’était pas encore aux niqabs sur canapé. Nul n’avait prévu le ressac migratoire qui déferlerait sur l’Europe après la vague des printemps arabes, l’implosion de la Libye et de la Syrie, ou la banalisation des attentats djihadistes en Europe. Aujourd’hui, c’est presque une lapalissade : l’exil pour tous tient lieu de mal du siècle. J’en ai observé les symptômes durant mes vacances italiennes : migrants en vadrouille, touristes en surnombre et autochtones parfois excédés par un double sentiment d’invasion furent mon lot quotidien.

Merano (Trentin-Haut-Adige)

Début juillet, tout avait bien commencé au Sud-Tyrol, cette région italienne qui parle allemand et marche droit. Ses paysages alpins font se sentir comme chez lui le touriste teuton. Il faut bien reconnaître que l’italianisation forcée menée sous le régime fasciste n’y a pas fait grand-chose : de la saucisse aux strudels, l’Autriche voisine affleure partout. De rares visages basanés et quelques touristes voilées en villégiature me ramènent à la réalité du village global. Même s’il y a loin de Lampedusa à Merano, les pauvres hères subsahariens errant çà et là donnent un bref aperçu des 83 000 migrants débarqués sur les côtes italiennes entre janvier et juin. La Sicile n’en pouvant mais, les immigrés clandestins ont été répartis aux quatre coins de la botte. Pour prendre la mesure du phénomène, il faut mettre le cap en aval de l’Adige. Direction la ville des amoureux.

Vérone (Vénétie)

Au pays de Roméo et Juliette, les Montaigu s’appellent « touristes » et les Capulet « migrants ». Si elles ne sont pas en guerre ouverte, tant s’en faut, ces deux familles n’ont pas vocation à se mélanger. Tout juste à commercer. Les nuées de beaufs des pays riches qui envahissent Vérone achètent des babioles made in China aux plus débrouillards des pays pauvres. Dans des rues passantes encombrées de touristes, à force d’entendre l’accent de Palavas, les indigènes en oublieraient presque l’italien, si vite appris et assimilé par les vendeurs à la sauvette africains. Comme Venise, Bruges et Marne-la-Vallée, Vérone tient moins de la ville que du Luna Park. Autant le dire tout net : n’importe quel objet, lieu-dit ou itinéraire balisé par des dizaines de milliers de touristes perd tout intérêt. Est-ce par appât du gain que les Véronais ne se révoltent pas ? Par une chaleur de tous les diables, leur attention se porte ailleurs. Pas un jour sans que le quotidien local L’Arena rapporte des faits aussi divers que leurs auteurs : une contrôleuse de train se fait agresser par des immigrés africains clandestins ; une rixe oppose détenus albanais et maghrébins en prison ; des Guinéens mettent à sac les abords de la gare de Milan, etc. Et pendant ce temps, le gouvernement de coalition centriste – du Macron avant Macron – n’a trouvé meilleure idée que de réformer le code de la nationalité. Objectif : introduire le droit du sol à la française dans une contrée jusqu’ici préservée de l’immigration massive. Histoire de méditer la question, je mets les voiles.

Trieste (Frioul-Vénétie julienne)

C’est avec la jubilation du monomaniaque que je retrouve Trieste pour la cinquième fois en deux ans. Inutile d’appeler les urgences psychiatriques, ma chère thébaïde a vidé ses asiles dans les années 1970 !

Mais l’heure est grave. Il n’y a plus lieu de rire ni de réveiller les fantômes de Svevo et Morand, endormis dans le cimetière communal. Sur cette ex-terre irrédente, deux mots devraient occuper toutes les têtes : jus soli. « Droit du sol ». Dans le journal de centre gauche La Repubblica, un universitaire soutient mordicus qu’au bout de dix ans de résidence, un immigré devrait épouser pleinement la communauté nationale et devenir italien. Rome ne comptait-elle pas d’empereurs africains ou syriens ? L’argumentaire pourrait convaincre par temps calme. Mais à l’heure des bateaux-poubelles remplis à ras d’hommes, cette révolution culturelle provoquerait un appel d’air migratoire. En signe d’opposition, deux ministres de centre droit ont d’ailleurs démissionné et la presse parle d’un éventuel abandon du projet avant même sa présentation aux deux chambres.

Insouciants, la plupart des Triestins n’en ont cure. Sur les 150 000 habitants du cru majoritairement italiens et slovènes, on n’entrevoit que quelques Africains, Maghrébins ou Afghans désœuvrés. 1 200 réfugiés ont été répartis au sein de la population locale. Au mois de juin, une petite manif anti-immigration a failli mal tourner. Une escouade de demandeurs d’asile afghans avait alors répondu aux militants nationalistes par des coups aux cris de « Ici, c’est Kaboul, pas l’Italie ! » avant de s’égailler à l’arrivée de la cavalerie. La scène reste sans commune mesure avec les tragédies européennes du dernier siècle. Si Trieste en fut l’un des points d’achoppement, elle ne conserve de son passé agité que le bel écrin habsbourgeois, comme si la fin de l’histoire européenne en avait suspendu le temps. Aux portes des Balkans, je croise moins de Roms qu’à Paris !

Géographie et histoire ont de sacrées ironies. Piazza Unità d’Italia, l’une des plus belles places d’Europe miraculeusement épargnée par le tourisme de masse, à l’endroit même où Mussolini annonça les lois antisémites, un gros Africain essaie de me refourguer l’autobiographie de Nelson Mandela. C’est méconnaître l’âme de Trieste : Italiens et Slovènes ne s’y sont jamais fréquentés, sinon comme maîtres et serviteurs, ainsi qu’en atteste Roberto Bazlen dans son chef-d’œuvre lapidaire (Trieste, Allia, 2015). La cité arc-en-ciel attendra…

Turin (Piémont)

Dernière station de mon chemin de croix ferroviaire, Turin ne laisse pas de m’amuser. Burlesque, le bouillon de culture turinois l’est par son melting-pot de carton-pâte : via Cellini, prostitué-e-s et dealers africains voisinent avec un bar fasciste. Tout ce petit monde entretient une paix froide, comme les éléments disjoints d’un tout chaotique. Est-ce l’Italie, l’Europe de demain ? À l’heure où l’Autriche exhorte le gouvernement italien à retenir les migrants en Sicile, où Rome en appelle à la solidarité européenne, seuls d’irréductibles nationalistes rejettent bruyamment l’abolition des frontières. Dommage. Car si l’Europe n’a pas d’avenir avec des multitudes déracinées, avec ses identitaires, elle n’aurait plus qu’un passé.

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Septembre 2017 - #49

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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