Les résultats des élections législatives italiennes sont tombés : la coalition de droite menée par Silvio Berlusconi arrive en tête (36%), suivie par le Mouvement 5 étoiles (32%) et le centre-gauche (19%). Mais dans le camp des vainqueurs, la Lega (17.4%), ex-mouvement autonomiste issu de la droite radicale, dépasse le propre parti de Berlusconi (14%). D’après le politologue Marco Tarchi, si la campagne des élections législatives italiennes a beaucoup tourné autour de l’immigration, seul le Mouvement 5 étoiles est perçu comme une réelle alternative au système politico-affairiste. Erigé en rempart antipopuliste, Berlusconi, a connu un soudain retour en grâce médiatique. Les élites souhaiteraient le voir conclure un accord de grande coalition avec le centre-gauche, qui pourrait briser son alliance avec la droite radicale. Entretien.
Daoud Boughezala. L’attention des médias français s’est concentrée sur le retour en grâce de Silvio Berlusconi, à la tête de la coalition de centre-droit. Si le Cavaliere reste inéligible, il apparaît en faiseur de roi. Son aréopage hétéroclite qui va des démocrates-chrétiens aux post-fascistes en passant par les ex-autonomistes de la Lega a-t-il un socle idéologique commun ?
Marco Tarchi[tooltips content= »Spécialiste du populisme et professeur à l’université de Florence. »]1[/tooltips]. Non. Berlusconi n’est pas un homme de principes; c’est un homme de marketing. Dès son entrée en politique, il ne s’est jamais posé le problème de l’homogénéité idéologique de ses coalitions. Il veut tout simplement ramasser le maximum de soutien et, pour ce faire, il désigne des ennemis, qu’il peint comme l’avant-garde d’un désastre. Hier, c’étaient les communistes; aujourd’hui, c’est le Mouvement cinq Etoiles. Il faut dire que, si l’ex-Cavaliere a refait surface si rapidement, c’est grâce au soutien des grands médias (depuis un mois et demi on le voit et on l’écoute partout, et les mêmes journalistes qui affichaient autrefois une attitude très agressive à son égard le traitent aujourd’hui avec des gants de velours) et de ceux qu’on désigne habituellement comme les « pouvoirs forts », économiques et financiers. Le journal The Economist, qui l’avait jugé, en couverture d’un de ses numéros plus cités, comme « inapte à gouverner », a écrit récemment qu’il était « le seul espoir de l’Italie ». Et tout cela pour barrer la route au M5S…
Plusieurs faits divers tragiques liés aux migrants ont secoué l’Italie ces derniers mois. Quelle place l’immigration a-t-elle occupé dans la campagne ?
L’immigration a occupé une place centrale. Même si les accords signés entre le ministre de l’Intérieur Minniti et certaines autorités libyennes ont fait diminuer les débarquements sur les côtes de la péninsule ces derniers mois, le rejet du phénomène migratoire est grandissant dans une partie importante de l’opinion, et s’accompagne d’une réaction négative face à la rhétorique de « l’accueil sans conditions » des médias, des intellectuels et de l’Eglise catholique. De l’autre côté, la gauche – surtout son aile radicale –, en quête de nouveaux repères après avoir abandonné la critique du système capitaliste, fait du projet d’une société « ouverte » et cosmopolite son drapeau et contribue à polariser le débat et les attitudes.
Pourquoi le Mouvement cinq étoiles (M5S) capte-t-il l’essentiel du vote populiste alors que des mouvements liés à la droite (Fratelli d’Italia, CasaPound) ou à la gauche radicales (Parti communiste refondé) font campagne contre l’immigration ou les élites ?
Parce que les mouvements extrémistes se disqualifient en s’entêtant à afficher – à droite comme à gauche – des symboles et des comportements anachroniques: les défilés à bras levé et les apologies du Ventennio mussolinien des uns et le recours aux réminiscences communistes (faucille et marteau, drapeaux rouges, appel à la dictature du prolétariat) des autres sont perçus par une large majorité des Italiens comme grotesques et purement folkloriques. Ce n’est pas le cas de Fratelli d’Italia, qui est une formation politique désormais légitimée à l’intérieur du système. Mais ce parti donne l’impression de n’être qu’une reproduction en bien plus petit d’un parti qui a appartenu à une autre époque (Alleanza Nazionale, elle-même née de la mutation du néofasciste Movimento Sociale Italiano).
Désormais à la tête de villes comme Rome ou Turin, le M5S souffre parfois d’une image de mauvais gestionnaire. Pourquoi n’en pâtit-il pas électoralement ?
Cette image est avant tout le produit d’une campagne médiatique continue et virulente. Les prédécesseurs des maires Raggi (à Rome) et Appendino (à Turin) n’ont pas brillé par leur gestion. Preuve en est, ils ont été très largement battus lors des dernières élections municipales. Le M5S, malgré ses contradictions et l’insuffisance avérée du processus de sélection de ses cadres et de ses candidats, continue à être perçu par beaucoup comme la seule alternative au milieu politico-affairiste, à ses collusions et à ses scandales, ce qui explique son poids électoral.
A terme, le centre-droit ou le centre-gauche pourrait-il conclure un « compromis historique » avec le M5S comme le démocrate-chrétien Aldo Moro le fit jadis avec le Parti communiste?
Je ne crois pas. Le scénario le plus probable de l’après-4 mars est la création d’une grande coalition entre le parti de Berlusconi, celui de Renzi et les élus de quelques petites listes, peut-être avec le soutien de quelques transfuges des autres partis. Cela signifie que, quelques jours ou semaines après le verdict des urnes, la coalition de centre-droit pourrait se dissoudre: Forza Italia au gouvernement avec ses adversaires présumés, la Ligue dans l’opposition comme le M5S et Fratelli d’Italia confronté à un choix difficile entre ces deux voies.
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