L’accord sur les migrations, trouvé par les pays de l’UE, est largement inspiré des demandes italiennes. Le vent commence à tourner.
C’est au petit matin de ce vendredi que des communiqués européens, mais aussi italiens, autrichiens et polonais nous ont annoncé qu’un bon accord européen consensuel avait été conclu au sujet de la question lancinante des migrants. L’Italie a imposé le sujet et un début de solution. En refusant de laisser accoster dans ses ports les navires d’ONG, transformées pour certaines en entreprises idéologiques de passeurs de migrants, elle s’est emparée du leadership européen, dictant paroles et musique aux gouvernements et à la Commission, tétanisés par le risque d’un Italexit total ou partiel, voire de la création d’une monnaie italienne (les mini-BOTS), parallèle à l’euro.
Le Conte est bon
Giuseppe Conte, le chef du gouvernement italien, a mené la partie de main de maître. Cette question majeure posée par son gouvernement a d’ailleurs un fort écho en Allemagne, Angela Merkel étant en fin de vie politique, sous la menace d’un ultimatum de son ministre de l’Intérieur sur la question migratoire. On saura dimanche si la CSU de Horst Seehofer, menacée en Bavière par la poussée de la droite social souverainiste (AfD), met fin à la coalition gouvernementale précaire de la chancelière. Même Emmanuel Macron, désormais incontrôlé, après les « gens qui ne sont rien », les « mâles blancs », les « lépreux », la « mafia bretonne », a cru pouvoir accuser l’ONG Lifeline de faire « le jeu des passeurs » au large de la Libye. Donald Tusk, Pedro Sanchez, Jean-Claude Junker, Angela Merkel,… tous ont compris que le risque était grand que l’Europe bruxelloïde, cernée entre Brexit et Visegrad (renforcé de l’Autriche, la Croatie, la Slovénie, l’Italie) succombe à ses propres aberrations.
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Déjà à l’Élysée, Giuseppe Conte avait ployé Emmanuel Macron en lui faisant accepter, dans le communiqué final commun, ses trois exigences (sommet bilatéral au sujet de l’abcès de Vintimille, création de centres de contrôle des migrants hors Europe dans les pays de transit, refus des nouveaux accords de Dublin). Il était revenu en maître, hier, à Bruxelles en martelant que « l’Italie n’attendait pas des mots mais des actes sur la question migratoire ». Il se sait suivi par 80% des Italiens, alors que Merkel, Macron ou Sanchez sont à moitié moins. Privilège des « populistes » qui eux… respectent les besoins des peuples. Giuseppe Conte est-il devenu le nouveau leader de l’Europe ? On peut le penser : « Comme vous le savez, l’Italie a travaillé sur une proposition qu’elle présente à ce Conseil européen, une proposition dont nous pensons qu’elle est totalement raisonnable parce qu’elle est conforme à l’esprit et au principe sur lesquels l’Union européenne est fondée », a-t-il déclaré. Et, en fait, il a bloqué les délibérations toute la journée de jeudi et une patrie de la nuit dernière en refusant de s’associer aux divers autres sujets du sommet tant que la question migratoire n’aurait pas reçu une réponse satisfaisante…
Sanchez, Merkel et Macron y vont tout droit
Le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk a capitulé, en plaidant pour que la rencontre qui s’achève vendredi permette un accord sur trois mesures importantes comme la création de « plateformes de débarquement » hors d’Europe pour les migrants, le déblocage de fonds pour lutter contre l’immigration illégale et une collaboration renforcée avec des pays de transit comme la Libye. Ce qui ressemble à s’y méprendre à du Conte… D’ailleurs Donald Tusk a été renvoyé à son strapontin par son Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, qui a répété l’opposition de son pays à l’idée de quotas obligatoires par pays d’accueil de migrants. Varsovie souhaite inciter les migrants à rester dans leurs pays d’origine plutôt que de migrer…
Mais c’est bien l’Italie, pays en première ligne, qui donne le tempo : les fumeux fantasmes élyséens de budget propre à la zone euro étaient sans avenir. Tout aussi décalée mais lucide sur son destin politique menacé, la chancelière avait déclaré au Bundestag, pour tenter de justifier son ouverture des frontières à un million de migrants : « Soit nous y parvenons, de sorte qu’en Afrique on sache que nous sommes guidés par des valeurs et croyons au multilatéralisme, et non pas à l’unilatéralisme, soit ce n’est pas le cas et personne ne croira plus au système de valeurs qui a fait notre force », a-t-elle déclaré. « C’est pourquoi c’est si important. » Faible raisonnement. Angela Merkel n’a pas compris que c’est la question de l’immigration forcée de masse qui est posée, et plus désormais celle de la répartition des masses immigrantes comme s’il s’agissait d’un devoir ou d’une fatalité. Elle n’a pas non plus compris, mais on le suspectait, que nos valeurs risquent de se diluer. Elle confond l’Afrique et les masses désœuvrées, voire marginales, qui tentent l’aventure. Elle n’a pas saisi la question démographique. Mais Emmanuel Macron n’est pas plus lucide quand il dit qu’ « il y a une alternative simple qui nous est aujourd’hui posée à tous: est-ce que nous voulons des solutions nationales ou est-ce que nous croyons dans des solutions européennes et de coopération ? ». La même erreur de jugement. Quant au nouveau venu, au destin politique tout aussi fragile, le socialiste espagnol Pedro Sanchez, qui a ouvert ses ports aux 629 migrants de L’Aquarius, il s’est abandonné à une rhétorique creuse : « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réponse commune à un défi commun ». De nature à irriter les chômeurs, les retraités, les familles européennes pour qui le défi quotidien est de vivre dignement.
« L’Italie n’est plus seule »
Le compromis trouvé aujourd’hui aux aurores est « un très bon compromis », selon le Premier ministre polonais ; notamment la répartition de demandeurs d’asile sur une base volontaire. Ce qui veut dire que le système va exploser puisque le fardeau sera concentré sur certains pays, qui seront rapidement confrontés à l’irritation de leur opinion publique. La fin annoncée des accords de Dublin.
« L’Italie n’est plus seule », s’est finalement félicité Giuseppe Conte qui a le triomphe modeste. Mais le point principal n’est pas encore réglé : Donald Tusk, très opportuniste, a proposé aux dirigeants des pays de l’UE de réfléchir à la solution italienne de « plateformes de débarquement hors de l’Europe » pour les migrants secourus en mer, ce qui « mettrait fin au modèle économique des passeurs ».
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Or la Libye, et à présent le Maroc, principaux pays visés ont indiqué refuser cette solution. Pourtant ces pays sont responsables – même pénalement – de tolérer l’activité des passeurs, et encore plus de laisser partir de chez eux des embarcations violant les règles internationales sur les navires transportant des passagers. La question sera à nouveau soulevée et l’Italie fera sans doute des contrôles de sécurité à la limite des eaux territoriales libyennes.
Il y a désormais deux catégories de gouvernants européens : ceux qui se gobergent de mots et d’idéologies confuses, sans considérer leur échec collectif ; et ceux qui ont promis de rendre des comptes à leurs électeurs qui veulent moins souffrir. Il se trouve que la première catégorie disparaît pendant que la seconde grandit imparablement.
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