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Italie : Beppe Grillo, le mégaphone et la cuisinière


Italie : Beppe Grillo, le mégaphone et la cuisinière

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De quoi Beppe Grillo est-il le nom ? Grâce à Michel Kessler, nous avions vu venir de longue date la vague grilliste qui vient d’emporter sur son passage l’expertocrate Monti, en même temps qu’elle occultait l’éternel retour de la social-démocratie et de son meilleur ennemi berlusconiste. Avec plus qu’un quart des suffrages, le Mouvement cinq étoiles créé par le virevoltant Beppe est bel et bien devenu le premier parti d’Italie à l’issue des élections parlementaires du mois dernier, devançant ses rivaux coalisés de droite et de gauche. Mais cela ne répond pas à notre question, le succès n’ayant jamais constitué une feuille de route politique.
Et l’étiquette de « populiste » assombrit un peu plus la vue des analystes égarés dans le marais transalpin. Pour dessiller, relisons Michel Kessler, encore et toujours, à qui nous devons la traduction d’une des plus fameuses saillies de Grillo décochée en novembre 2011 contre l’ancien président du Conseil du Monti, alors au faîte de sa popularité. L’ancien comique Grillo s’y pose en représentant du « pays réel, le pays des corporations et des associations » avant d’énumérer une série de revendications disparates allant de « l’abandon du nucléaire » à l’abrogation des nouvelles taxes sur « la résidence principale » et le « patrimoine ». Au milieu de ce salmigondis mi-décroissant mi-poujadiste (sus au fiscalisme ! criait le papetier de Saint-Céré), surnage le thème du bon père de famille qui gèrerait l’économie avec bon sens, et préserverait le pays de l’appétit vorace des requins de la finance. Contre cette fable si douce à entendre, un collectif post-situationniste italien a publié un petit brûlot anti-grilliste dont les meilleurs passages rappellent les analyses de Debord et Sanguinetti sur l’imposture du terrorisme transalpin. Écrit sous le pseudonyme de Wu Ming, cette tribune a été traduite par l’auteur de polars Serge Quadruppani. On la lira sur son blog.
« Le mouvement 5 étoiles a défendu le système » annonce-t-elle tout de go. Wu Ming décrypte par le menu détail l’idéologie managériale au fond de sauce populiste qui balise l’alpha et l’oméga doctrinal de Grillo. Comme Lénine, l’ancienne vedette de la télévision estime qu’une cuisinière pourrait gouverner le pays tout aussi bien que des professionnels de la politique. Or, par la magie de son « programme confusionniste où coexistent propositions néolibérales et anti-néolibérales, centralistes et fédéralistes, libertaires et sécuritaires », Grillo a canalisé la grogne de l’Italien contre les mesures de rigueur… en la privant de ses potentialités subversives. Malgré de sévères coupes dans les dépenses publiques, Monti n’a en effet essuyé ni révolte, ni émeute, ni même une mobilisation sociale digne du mouvement anti-Juppé de l’hiver 1995. Bref, à peine quelques « feux de paille, mais pas d’étincelle qui ait mis le feu à la prairie ».  Avec comme seul débouché politique l’incendie de la semaine dernière, ayant envoyé 162 parlementaires grillistes votant « au cas par cas » à la Chambre des députés et au Sénat italiens. Une majorité introuvable qui a tout l’air d’une débandade pour les amoureux du grand soir, puisque lesdits parlementaires administreront le désastre, selon la belle expression de Riesel et Semprun, comme ils le font déjà à l’échelle locale, dans leur mairie de Parme.
Ne dites surtout pas à Grillo qu’il représente le salut idéologique de l’Italie. Lui se défend de toute parure idéologique, prétend déjouer les classifications et imposer les lois de la raison au bon vieux capitalisme patrimonial ressuscité. Parme contre la City et Wall Street : l’affiche est belle mais le scénario aussi indigeste que les bluettes télévisuelles que le cathodique Grillo a si longtemps cautionnées. Comme au temps béni de la campagne ségoléniste de 2007, Grillo se contente d’incarner les « désirs d’avenirs » de ses électeurs, la rhétorique anti-système en plus, ce qui ne gâche rien électoralement parlant. Sa fonction tribunicienne en fait une sorte de Poujade post-moderne, qui aurait chipé le mégaphone de Besancenot pour parler plus vite et plus fort aux masses inertes. Partant, il n’est pas un révolutionnaire persécuté par le pouvoir mais plutôt le troubadour d’un réformisme creux, dont la virulence verbale n’égale que l’inconséquence – comment d’un même élan fustiger les méfaits de l’industrie et défendre une utopie citoyenne virtuelle ultra-technicienne ?
Adressons une supplique aux adversaires momentanés du mouvement 5 étoiles. Plutôt que de pleurer sur le lait renversé en nous expliquant que les Italiens ont mal voté, ces zélateurs de Monti devraient investir tous leurs efforts dans la formation d’une grande coalition droite-gauche autour du consensus de Bruxelles. Sitôt écarté le bruyant obstacle Berlusconi, au besoin en lui confiant la présidence d’une des deux assemblées, la majorité écrasante ainsi formée pourra poursuivre la tâche de l’ancien commissaire européen avec un supplément d’âme démocratique. Pendant ce temps, les grillistes regarderont passer les wagons de réformes en s’y raccrochant par intermittences. Qui sait combien de leurs étoiles pâliront devant les tentatives de débauchages des deux grands blocs ? Mais ne nous arrêtons pas sur l’anecdote des probables futures défections grillistes.
L’essentiel est qu’admirateurs comme pourfendeurs de l’hydre populiste Grillo méditent la leçon du Guépard : dans l’Italie de 2013 comme dans celle du Risorgimento, on dirait que tout change pour que rien ne change

*Photo : 20centesimi.



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